Clauses de durée et poursuite des relations commerciales dans les contrats de distribution

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

La poursuite des relations commerciales dans les contrats de franchise, et plus généralement dans les contrats de distribution, soulève des questions pratiques et un enjeu important.

 

Avertissement : depuis la publication de cet article, le 1er décembre 2012, la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (dite « Loi Macron ») a introduit un nouvel article L.341-1 au code de commerce prévoyant une échéance commune pour les contrats de distribution entrant dans le champ d’application de ce texte : CLIQUEZ ICI pour une étude complète de ce texte.

 

La question de la poursuite des relations commerciales dans les contrats de franchise, et plus généralement dans les contrats de distribution, est on ne peut plus d’actualité : ainsi, l’enquête annuelle dernièrement menée par le groupe Banque populaire et la Fédération Française de la Franchise, montre qu’une majorité de franchisés entend renouveler le contrat de franchise à son terme.

Au plan juridique, un enjeu important réside dans l’effet de la poursuite des relations commerciales au-delà de la durée initialement prévue ; en définitive, les situations sont bien plus nombreuses qu’il n’y paraît et il peut être utile de procéder à un rappel des différentes situations juridiques en présence (voir sur la prorogation et le renouvellement du contrat de franchise, F.-L. Simon, Théorie et Pratique du droit de la Franchise, §§.471-496).

L’une des premières questions qui se pose est de savoir si le contrat primitif conclu entre les parties est prorogé ou si un nouveau contrat prend sa suite ou le reconduit. En effet, en principe, et conformément au droit commun, les contrats ne produisent leurs effets que pendant la durée pour laquelle ils ont été conclus. Ce sont les clauses de durée qui déterminent la portée dans le temps des obligations des cocontractants. Ainsi, si un contrat a été conclu pour une durée indéterminée, l’accord des parties produira ses effets et se prolongera dans le temps, à moins qu’une d’entre elles exerce sa faculté de résiliation unilatérale ; dans cette hypothèse, la poursuite de son activité au sein du réseau par le franchisé ne soulève aucune difficulté.

En revanche, si le contrat a été conclu pour une durée déterminée, les obligations contractuelles des parties s’éteindront dès la survenance du terme du contrat. Or, les parties souhaitant éviter le risque d’une rupture inopinée à l’initiative de leur partenaire, les contrats de franchise sont le plus souvent conclus pour une durée déterminée. Partant, les obligations contractuelles des parties s’éteindront dès l’arrivée du terme de la convention qui les lie.

Dans cette perspective, et parce qu’il est fréquent en pratique que les relations commerciales se poursuivent au-delà du terme initial fixé par le contrat, il convient de distinguer, dans les contrats à durée déterminée, les mécanismes qui ont en commun de faire perdurer la situation contractuelle au-delà du terme prévu et de mettre en lumière les écueils à éviter. On verra que suivant que la poursuite des relations est précaire ou contractuelle, la durée et les conditions contractuelles de l’engagement poursuivi ne seront pas nécessairement identiques à celles prévues au contrat initial.

  • La prorogation du contrat initial

Si un franchiseur est libre de fixer la durée du contrat de franchise, il doit porter une attention particulière à la durée des effets que son accord avec le franchisé va produire, notamment lorsque les relations commerciales entre les parties se prolongent au-delà de la durée initiale du contrat.

Le mécanisme de prorogation, aussi appelé « substitution de terme », pourra lui permettre de déférer le terme extinctif de son contrat et, partant, de prolonger son existence. Cette prorogation intervient avant l’expiration du contrat initial car, passé ce délai, il ne s’agirait plus de proroger le contrat mais d’en conclure un nouveau (Cass. civ. 1ère, 2 mars 1994, Bull. civ. n°87). L’avantage de celle-ci est qu’elle maintient le contrat initialement conclu dans tout son contenu. Ce dernier demeure régi par la loi applicable au jour de sa conclusion et voit simplement son échéance reportée, conférant à ses effets une durée supplémentaire. Autrement dit, la poursuite des relations commerciales s’effectue dans les termes du contrat primitif.

Trois formes bien distinctes de prorogation peuvent être envisagées.

En premier lieu, la prorogation de la durée d’un contrat peut s’effectuer « automatiquement », cela indépendamment de la volonté des parties qui l’ont acceptée par avance, et sous réserve de la réunion de certaines conditions. Ainsi, lorsque, à la survenance du terme, les conditions auxquelles les parties ont donné un effet prorogateur sont réunies, le contrat est prorogé de plein droit. Par exemple, les parties pourraient insérer une clause prévoyant, dans le contrat de franchise qui les lie, que la convention sera automatiquement prorogée pour une durée supplémentaire pour le cas où le franchisé aurait respecté l’ensemble de ses obligations et/ou réalisé tel chiffre d’affaires.

En deuxième lieu, la prorogation de la durée peut être « semi-automatique », c’est-à-dire abandonnée à la volonté d’une seule des parties, l’autre étant préalablement engagée. Ici, la clause correspond à une promesse de prorogation, la volonté de son bénéficiaire pouvant ou non être expresse selon la rédaction retenue.

Enfin, la prorogation de la durée du contrat peut être « non-automatique ». Dans cette hypothèse, les parties peuvent soumettre la prorogation de leur engagement à la réunion de leur volonté respective, chacune ayant la faculté de s’opposer à ce prolongement. Ici encore, l’acte de volonté devra ou non être exprès selon la rédaction retenue.

Rappelons que, par l’effet de la prorogation, c’est le contrat initial qui continue : en conséquence, il n’apparait pas nécessaire que le franchiseur respecte, au moment de la prorogation du contrat, l’obligation d’information introduite par la loi Doubin, dès lors qu’il n’y a pas de nouveau contrat au sens de l’article L.330-3 du Code de commerce. Quoique l’obligation d’information ne soit pas requise en cas de prorogation, il sera parfois recommandé au franchiseur de communiquer les informations requises, car les informations initialement communiquées auront pu avoir très significativement évoluées.

En outre, en matière de distribution exclusive, le franchiseur devra veiller à ce que la durée du contrat n’excède pas la limite de 10 ans résultant des dispositions de l’article L.330-1 du Code de Commerce ; la durée du contrat prorogé courant en effet de la conclusion du contrat initial jusqu’au terme de la prorogation.

  • Le renouvellement exprès

Dans les contrats à durée déterminée, les relations qu’entretiennent les parties sont appelées à prendre fin par la survenance du terme extinctif.

Ainsi, il n’existe ni pour le franchiseur ni pour le franchisé de « droit » au renouvellement du contrat, sauf stipulations contractuelles contraires et dans la limite de l’abus de droit.

La chambre commerciale de la Cour de cassation affirme régulièrement ce principe, tant pour les contrats de distribution en général (Cass. com., 6 juin 2001, pourvoi n°99-10.768) que pour les contrats de franchise en particulier (Cass. com., 30 juin 1992, pourvoi n°90-19.935).

Mais, a contrario, si les parties le souhaitent, elles peuvent faire perdurer leurs relations en envisageant un renouvellement du contrat primitif.

Le renouvellement du contrat consiste dans la conclusion d’un nouveau contrat, après l’arrivée à terme du premier. Qu’il s’agisse d’un nouveau contrat a d’importantes conséquences telles : la disparition des sûretés attachées au premier, l’incidence d’un changement de loi, l’obligation d’information due à son franchisé conformément à l’article L. 330-3 précité, la « division » des sanctions.

En effet, un manquement commis au cours du premier contrat ne saurait justifier la résiliation du contrat renouvelé (Cass. civ. 3ème, 7 juillet 2004, Bull. civ. II, n°146).

Le renouvellement du contrat consiste en la substitution d’un nouvel accord au contrat échu. Sauf volonté contraire des parties, il emprunte à l’accord précédent l’essentiel de ses dispositions, à l’exception de celle relative à la durée. La jurisprudence retient, en effet, que lorsque la clause du contrat initial ne comporte pas d’indication, sa poursuite au-delà du terme convenu donne naissance à un nouveau contrat de durée indéterminée (CA Paris, 6 février 2003, Juris-Data n°206356).

En matière de distribution, le renouvellement du contrat peut résulter de différents mécanismes conventionnels.

Les parties peuvent insérer dans le contrat initial une « clause de reconduction non-automatique ou volontaire » par laquelle elles prévoient de se mettre d’accord pour un renouvellement exprès. Dans cette hypothèse, le renouvellement du contrat pourra par exemple intervenir au moyen d’une lettre recommandée avec accusé de réception.

En outre, le renouvellement peut résulter d’ « une clause de reconduction semi-automatique ». Ici, le renouvellement sera abandonné à la volonté d’un seul des contractants ; par exemple, les parties pourraient prévoir que le franchisé ayant respecté l’ensemble des obligations lui incombant au titre du contrat initial puisse décider seul de son renouvellement.

Ce type de clause est néanmoins à éviter ; un désaccord pourrait naître entre les parties sur le point de savoir si la condition de fond pour la mise en œuvre de cette clause est réalisée ou non, cette dernière étant très subjective…

  • La reconduction tacite

La volonté de maintenir les relations commerciales après la survenance du terme, qui s’extériorise par des faits, peut emporter la conclusion « tacite » d’un nouveau contrat. Autrement dit, la tacite reconduction s’effectue sans nouvel accord écrit et résulte de la poursuite matérielle du contrat.

De nombreux contrats prévoient des « clauses de tacite reconduction ». Selon de telles clauses, le silence observé par l’une ou l’autre des parties durant une période déterminée signifiera que chacune d’elles a exprimé la volonté de conclure le nouveau contrat. Le contrat issu de ce mécanisme pourra être identique ou se différencier du précédent ; tout est ici une affaire de liberté contractuelle, comme pour les mécanismes précédents.

Même en l’absence d’une telle clause, la tacite reconduction pourra jouer si les parties ont continué d’exécuter le contrat après son expiration. Reconnaître un effet à la continuation du contrat est consacré de manière extensive par la jurisprudence sur le fondement de l’article 1738 du Code civil, qui régit le contrat de bail.

Toutefois, en matière de franchise, les juges considèrent que la simple poursuite des relations, entre les parties au contrat éteint par l’arrivée du terme, ne saurait s’interpréter comme le renouvellement de l’accord initial.

Pour la Cour de cassation, « sauf disposition ou volonté contraire, la tacite reconduction d’un contrat à durée déterminée, dont le terme extinctif à produit ses effets, donne naissance à un nouveau contrat, de durée indéterminée, et dont les autres éléments ne sont pas nécessairement identiques » (Cass. civ. 1ère, 15 nov. 2005, pourvoi n°02-21.336).

Ainsi, la jurisprudence retient implicitement l’existence d’un nouveau contrat.

Tel est le cas en présence d’un contrat de franchise d’une durée de cinq ans envisageant la signature d’un nouveau contrat trois mois avant l’expiration du précédent, et après avoir relevé que les relations contractuelles se sont poursuivies entre les mêmes parties après le terme du contrat initial (CA Dijon, 15 nov. 2007, RG n° 11/03437).

Outre le fait d’être nouveau, le contrat liera désormais les parties pour une durée indéterminée.

L’enjeu qui s’attache à cette solution est important ; le régime du contrat à durée indéterminée à pour effet de donner à chaque partie une faculté de résiliation unilatérale, dans la limite de l’application de L. 442-6, I, 5° du Code de commerce concernant les ruptures brutales des relations commerciales établies.

Enfin, en cas de tacite reconduction, le contenu du contrat poursuivi ne serait pas nécessairement identique au contrat primitif. Il s’agit alors pour les juges du fond d’apprécier, outre la volonté des parties de poursuivre des relations contractuelles, le contenu de l’engagement qu’elles entendent perpétuer. Ainsi, si le comportement des parties peut convaincre le juge de l’existence d’un nouveau contrat, il se peut qu’il ne parvienne pas à le convaincre de leur volonté de ne rien changer au contrat primitif.

Tout est affaire d’espèce : les juges du fond peuvent parfois tirer de l’intention des parties la disparition de clauses prévues au contrat initial. Une clause de non-réaffiliation insérée dans un contrat de franchise a été jugée comme non-applicable en période de tacite reconduction  (CA Versailles, 17 mars 2011, inédit, RG n°09/09953 et, sur pourvoi, Cass. com., 30 mai 2012, pourvoi n°11-18.779). Ce pouvoir d’interprétation peut parfois être favorable au fournisseur ; les juges acceptant par exemple une modification des conditions financières initiales pour le cas où un client avait accepté sans émettre de protestation une augmentation de prix (CA Versailles 15 février 2001, Gaz. Pal. 2002, 1, somm. P. 89).

D’une manière générale, la prudence recommande donc aux têtes de réseau poursuivant l’exécution à titre précaire de tout ou partie de ses obligations, de l’indiquer expressément par écrit, en précisant que la poursuite de leurs relations contractuelles est menée à titre transitoire, voire de fixer au besoin un terme précis à cette période de survivance.

Nouvelle durée, nouveau contrat, nouveau contenu… En tout état de cause, il appartiendra aux têtes de réseau de s’efforcer de profiter au mieux de la liberté contractuelle offerte ; l’absence de renouvellement identique peut être l’occasion d’évolutions favorables à chacun …


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