Requalification d’un contrat de gérance mandat en contrat de travail

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RICHARD Sandrine

Avocat associée

Cass. soc., 5 mai 2017, n°15-28.434

L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité.

Ce qu’il faut retenir : L’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité. Ainsi, un contrat de gérance mandat peut-il être requalifié en contrat de travail lorsqu’un lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un mandant qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements du gérant mandataire.

 

Pour approfondir : La société A…, propriétaire de la marque « E… », a conclu un contrat de franchise avec la société E…, laquelle a conclu un contrat de licence de marque et de gestion avec la société H…, propriétaire d’un fonds d’hôtellerie à Geispolsheim, exploité sous l’enseigne E… ; la société H… a confié l’exploitation de l’hôtel à la société M…, dont Monsieur X… était le gérant, au moyen d’un contrat de gérance-mandat (selon la société H), lequel n’avait pas été signé. Le schéma contractuel s’articulait donc comme suit :

Sans qu’aucun contrat de gérance-mandat n’ait été signé, la société M.., a été en charge de la gestion de cet hôtel à compter du 1er février 2006.

Au motif de fautes graves constatées dans la gestion de l’hôtel, la société H… a mis fin audit contrat par lettre du 8 février 2012. Des discussions ont alors eu lieu au titre de l’indemnité de rupture de l’article L. 146-4 du Code de commerce relatif au statut de gérant mandataire. Ces discussions n’ont pas abouti.

Monsieur X… a saisi le conseil de prud’hommes de Strasbourg afin de voir requalifier son contrat en contrat de travail. Et, par jugement du 5 mars 2015, le juge prud’homal a fait droit à cette demande.

Pour confirmer le jugement du conseil de prud’hommes de Strasbourg ayant constaté l’existence d’un contrat de travail entre Monsieur X… et la société H, la Cour d’appel (CA Colmar, 13 oct. 2015, n°15/02019) rappelle dans un premier temps que « l’existence d’un contrat de travail ne dépend ni de la volonté exprimée des parties ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité du travailleur ».

Elle précise ensuite que « le lien de subordination, justifiant la qualification de contrat de travail est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que l’intégration dans un service organisé constitue un indice du lien de subordination lorsque les conditions de travail sont unilatéralement déterminées par le co-contractant » et procède dès lors à une analyse des conditions d’exploitation de l’hôtel par Monsieur X.

La Cour d’appel relève ainsi que la société H… « donnait des ordres, allant au-delà du contrat de mandat gérance et de sa qualité de propriétaire du fonds de commerce, et sans qu’elle puisse s’abriter opportunément derrière le contrat de franchise » ; « décidait unilatéralement les travaux de rénovation des chambres et de son calendrier » ; « demandait un inventaire précis de la literie à transmettre le lendemain pour midi » ; « décidait des dates de remise en activité de certaines chambres avec les dates d’intervention pour leur ménage » ; « avait le pouvoir de contrôler régulièrement et de façon permanente l’exécution des ordres et directives donnés, avec audit impromptu ».

Devant la Cour de cassation, le pourvoi faisait valoir que :

  • les directives données avaient pour origine l’existence d’un contrat de franchise : « ces exigences sont celles qui résultent de l’intégration de cet hôtel dans un réseau, une chaîne d’hôtel à prestation de qualité et à prix économiques, impliquant une exacte identité de prestations et de produits dans la chaîne E… » ;
  • le mandant demeurait propriétaire du fonds de commerce et supportait les risques liés à son exploitation, les normes de gestion devaient être respectées par le gérant-mandataire et étaient inhérentes au contrat de gérance-mandat de sorte qu’elles ne pouvaient suffire à emporter la qualification de contrat de travail ;
  • les échanges relatifs aux équipements à renouveler et aux travaux à réaliser étaient des obligations constitutives de limites normales apportées à l’autonomie de gestion d’une société gérant mandataire ;
  • Monsieur X « était libre d’organiser son temps de travail, d’aller et venir, de développer une activité différente parallèle à la gérance mandat, d’embaucher qui il voulait, de licencier ou de mettre en œuvre une procédure disciplinaire à l’encontre du personnel à son service », le pourvoi soulignant alors que le pouvoir de recruter et de licencier du personnel sans avoir à lui en référer est nécessairement incompatible avec l’existence d’un lien de subordination ;
  • Monsieur X disposait d’une réelle autonomie quant à la gestion de l’hôtel, tout en devant se conformer aux normes issues du réseau de franchise.

Pour rejeter le pourvoi, l’arrêt commenté répond en deux temps.

La chambre sociale de la Cour de cassation retient tout d’abord que « l’existence d’une relation de travail ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée l’activité des travailleurs » (Nous soulignons).

Cette solution est connue. Le juge ne doit pas s’arrêter aux termes que les parties ont employés, l’existence d’une relation pouvant déterminer un contrat de travail ne dépendant ni de la volonté qu’elles ont exprimée, ni de la dénomination qu’elles ont donnée à leur convention, mais des conditions de fait dans lesquelles l’activité des travailleurs est exercée ; cette solution n’est pas nouvelle (V. pour un rappel de principe, Cass. soc., 4 déc. 2001, n°99-41.265, Juris-Data n°2001-012007 (Publié au Bulletin) : « qu’il résulte de ce texte [l’article L.781-1.2° du Code du travail] que dès lors que les conditions sus-énoncées sont, en fait, réunies, quelles que soient les énonciations du contrat, les dispositions du Code du travail sont applicables (…) » ; v. aussi, CA Toulouse, 13 oct. 2006, Juris-Data n°2006-327205 ; v. aussi, CA Grenoble, 1er sept. 2003, Juris-Data n°2003-241377) et suscite un intérêt constant (V. pour une étude spécifique, E. Peskine, Entre subordination et indépendance : en quête d’une troisième voie, Revue de droit du travail 2008, n°6, p. 371).

Cette solution s’inscrit dans l’état actuel du droit positif (v. pour une autre décision récente, CA Douai, 31 mars 2017, n°15/1721 et n°15/01720 : « Attendu qu’aucune des pièces produites par les époux F. n’établit que la société [tête de réseau] leur impose ni juridiquement ni dans les faits de se faire remplacer pendant leurs congés par des gérants intérimaires choisis par elle » (à propos de l’application de l’article L.7321-2 du Code du travail)).

La chambre sociale de la Cour de cassation souligne ensuite que :

  • « le lien de subordination est caractérisé par l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné ; que le travail au sein d’un service organisé peut constituer un indice du lien de subordination lorsque l’employeur détermine unilatéralement les conditions d’exécution du travail » ;
  • « les conditions d’exploitation de l’hôtel étaient détaillées à l’extrême dans le contrat, mentionnant jusqu’à la composition du petit déjeuner ou la température de la chambre, que la société H… décidait unilatéralement des travaux de rénovation des chambres et de leur calendrier, que M. X… devait suivre les directives du mandant en matière de communication, que la société avait le possibilité de contrôler régulièrement et de façon permanente l’exécution des ordres et directives donnés, notamment par le biais de visites, audits ou consultations des documents et qu’elle avait le pouvoir de sanctionner le gérant-mandataire en cas de manquement par des sanctions ou la résiliation du contrat, la cour d’appel a ainsi fait ressortir l’exécution d’un travail sous l’autorité d’un employeur qui a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d’en contrôler l’exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné et a pu décider par motifs propres et adoptés, que le gérant-mandataire était lié à cette société par un contrat de travail ».

 

A rapprocher : CA Douai, 31 mars 2017, n°15/1721 et n°15/01720

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