Qualité de « caution avertie » du dirigeant expérimenté

Cass. com., 18 janvier 2017, n°15-12.723

Le gérant d’une société, dont il s’est solidairement porté caution, et qui dispose de compétences ainsi que d’une formation spécifique à la reprise d’entreprise ne peut, au regard de sa qualité de caution avertie, reprocher à un établissement bancaire d’avoir manqué à son obligation de mise en garde lors de la contraction de son engagement de garantie.

Ce qu’il faut retenir : Le gérant d’une société, dont il s’est solidairement porté caution, et qui dispose de compétences ainsi que d’une formation spécifique à la reprise d’entreprise ne peut, au regard de sa qualité de caution avertie, reprocher à un établissement bancaire d’avoir manqué à son obligation de mise en garde lors de la contraction de son engagement de garantie.

Pour approfondir : Dans cette affaire, une société holding, représentée par son gérant ayant acquis la majorité des parts de la société, a emprunté la somme de 460.000 euros auprès d’un établissement bancaire. Lors de la contraction de cet emprunt, le gérant de la société s’est porté caution solidaire de cette dernière auprès de la banque, à concurrence de 92.000 euros. Par la suite, la société emprunteuse a été mise en liquidation judiciaire et l’établissement bancaire a donc assigné le gérant en exécution de son engagement.

En appel, les juges du fonds ont fait droit à la demande de la banque et ont condamné le gérant à lui payer la somme de 92.000 euros en exécution de l’engagement de caution.

En effet, en vertu de l’article 2288 du Code civil, celui qui se rend caution d’une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n’y satisfait pas lui-même.

Contestant son obligation, le dirigeant a formé un pourvoi en cassation, soutenant notamment en raison de sa qualité de caution non avertie, l’établissement bancaire était débiteur à son égard d’une obligation de mise en garde, à laquelle il n’avait pas été satisfait.

Cette obligation de mise en garde a été initiée par la première chambre civile de la Cour de cassation (Cass. civ. 1ère, 12 juillet 2005, pourvoi n°03-10.921) et a été reconnue à plusieurs reprises par la jurisprudence par la suite.

L’obligation incombe à l’établissement bancaire lorsque la caution ne détient pas les compétences lui permettant de mesurer les risques encourus par son engagement, la jurisprudence estimant dans ce cas que la caution ne dispose pas d’un consentement suffisamment éclairé : la caution est dite « non avertie ».

La banque doit alors se renseigner, vérifier les capacités financières de la caution et évaluer le caractère excessif ou non de l’engagement eu égard aux facultés contributives de cette dernière. En ne respectant pas son obligation, l’établissement bancaire est susceptible de voir sa responsabilité engagée sur le fondement de l’article 1147 du Code civil.

Au contraire, si la caution est considérée comme « avertie », c’est-à-dire si elle dispose des compétences nécessaires et suffisantes pour évaluer les risques sur les concours consentis, l’établissement bancaire est dégagé de son obligation de mise en garde, sauf à démontrer pour la caution que la banque disposait d’informations qu’elle même aurait ignorées concernant sa situation financière (Cass. com., 13 février 2007, pourvoi n°04-19.727).

Cette qualification de la caution présente par conséquent un enjeu important en ce qu’il est un préalable à l’engagement de la responsabilité de la banque.

En l’espèce, la question se posait justement de la qualité de caution avertie ou non-avertie du gérant.

Ce dernier reproche notamment à la Cour d’appel de s’être contentée, pour qualifier le gérant de caution avertie, de sa qualité de professionnel gérant de la société en liquidation, sans avoir au préalable recherché s’il possédait les compétences lui permettant de mesurer les risques encourus par les cautionnements auxquels il s’engageait à titre personnel. La Cour de cassation, par un arrêt du 18 janvier dernier, confirme l’arrêt d’appel, en écartant l’argument selon lequel les juges du fonds auraient déduit la qualité de caution avertie du gérant de sa seule qualité de dirigeant de la société débitrice principale.

En effet, la Haute juridiction a au contraire relevé que la Cour d’appel a pris en compte d’autres éléments pour retenir la qualité de caution avertie du gérant : elle souligne que les juges du fond ont en effet conclu qu’eu égard au parcours professionnel du gérant, de ses compétences techniques et commerciales, de sa formation spécifique à la reprise d’entreprise et de sa prise en charge personnelle de la constitution et du suivi des dossiers de financement en vue de l’opération de reprise complexe qu’il a montée ainsi que des négociations nécessaires à l’obtention des financements, la qualité de caution « avertie » devait nécessairement lui être attribuée.

Par cet arrêt, la Haute juridiction approfondit celui rendu le 11 décembre 2007 par la même chambre (Cass. com., 11 décembre 2007, pourvoi n°03-20.747), lequel était déjà venu livrer un éclairage souhaité sur la notion de client « averti ».

Dans l’arrêt de 2007, la Cour de cassation a considéré que la qualité de professionnel n’entrainait pas de facto celle de client « averti », mais qu’au contraire il fallait s’interroger sur les compétences du professionnel ou de non-professionnel en cause.

Dans le présent arrêt, la Cour de cassation confirme la solution déjà retenue dans l’arrêt de 2007 et ne résume pas la qualité de caution avertie à la qualité de professionnel du gérant.

Au contraire, elle mène une étude plus approfondie sur les compétences et les spécialisations de la caution en cause, laquelle au regard de son expérience, de sa formation et de son expertise ne pouvait qu’assurément être qualifiée de caution avertie.

La Haute juridiction rejette ainsi toute éventuelle présomption sur le caractère « averti » du dirigeant caution, l’appréciation de la qualification de caution dite « avertie » devant être justifiée au regard de données concrètes.

A rapprocher : Cass. com., 22 mars 2016, pourvoi n°14-20.216

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