Clauses d’objectif minimum : conditions de validité et sanctions – CA Grenoble, 10 janv. 2013 et CA Paris, 27 fév. 2013

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Dans tout contrat de distribution, les parties peuvent insérer une clause d’« objectif minimum » imposant à son débiteur la réalisation d’un objectif à atteindre.

Dans tout contrat de distribution, quelle qu’en soit la nature, les parties peuvent insérer une clause d’« objectif minimum » qui consiste à imposer à son débiteur la réalisation d’un objectif, et à prévoir certaines conséquences, variant selon que le résultat a été atteint ou non : cette clause a une vertu incitative à la recherche de la performance.

Les deux arrêts commentés présentent l’intérêt de revenir successivement sur les conditions de validité de telles clauses puis les sanctions attachées à leur violation.

Dans la première affaire (CA Grenoble, 10 janvier 2013), un contrat d’agence commerciale imposait à l’agent la réalisation d’un CA annuel minimum et stipulait que la non-réalisation de cet objectif pouvait entraîner la résiliation de l’accord, sans que celle-ci ne puisse être considérée comme abusive.

L’agent n’avait pas atteint l’objectif stipulé au titre de la première année d’exécution du contrat, et le mandant décidait d’y mettre un terme. Pour justifier son refus de verser une indemnité compensatrice, il invoquait une faute grave de l’agent qui n’avait pas atteint les objectifs. La Cour d’appel de Grenoble :

– annule la clause de résiliation après avoir relevé qu’elle privait le juge de son pouvoir exclusif de qualifier les faits de faute grave et révélait la volonté du mandant de sanctionner la non-réalisation de l’objectif par la perte du droit d’ordre public à indemnité,

– et rappelle que la non-réalisation des objectifs n’est pas en soi constitutive d’une faute grave, le mandant devant établir le caractère « réaliste » des objectifs.

Les objectifs à atteindre doivent également être « atteignables ». En effet, la validité de ces clauses suppose que les objectifs soient raisonnables (Cass. com., 13 mai 1997, n°95-14.035, Juris-Data n°002082) et appliqués de manière non discriminatoire (Cass. com., 1er févr. 1994, n°92-16.021). La jurisprudence sanctionne encore les clauses de minimum quand elles apparaissent comme « disproportionnées » (Cass. com., 13 mai 1997, Juris-Data n°002082). A cet égard, il semble prudent pour le créancier de l’obligation d’être capable de pouvoir justifier a posteriori le seuil qu’il aura ainsi déterminé au contrat.

De même, la Cour de cassation dans un arrêt du 29 janvier 2008 a sanctionné la clause d’objectifs au visa de l’article 1112 du Code civil, sur le fondement du vice de violence : la Chambre commerciale a jugé que devait encourir la cassation l’arrêt qui condamne un franchisé à des dommages et intérêts pour non-réalisation des objectifs contractuels, alors qu’aurait dû être recherché, ainsi que cela avait été demandé, si les objectifs commerciaux n’avaient pas été imposés au distributeur exclusif de façon abusive et disproportionnée eu égard à l’importance du territoire concédé (Cass. com., 29 janv. 2008, n°06-20.808, Juris-Data n°042625).

Dans la seconde affaire (CA Paris, Pôle 5, chambre 4, 27 février 2013), un distributeur était soumis à une obligation d’achats minimum de produits, en contrepartie de laquelle un fournisseur lui avait consenti une exclusivité. Le distributeur n’ayant pas respecté les objectifs de commande conditionnant le bénéfice de son exclusivité territoriale, la Cour d’appel de Paris le condamne à dédommager le fournisseur de la perte de marge nette sur les ventes qui auraient dû être réalisées.

Il convient d’ailleurs de rappeler, pour mémoire, que plusieurs types de sanctions peuvent être prévus par un contrat pour le cas où l’objectif à réaliser ne serait pas atteint ; il est d’ailleurs préférable pour le créancier de l’obligation de pouvoir opter alternativement, au cas par cas, pour la mise en œuvre de telle ou telle de ces sanctions :

la résiliation anticipée, sanction relativement classique (Cass. com., 16 déc. 1997, n°96-14.515 ; Cass. com., 21 mai 1996, n°94-17.452),

le non-renouvellement du contrat (un tel dispositif, quoiqu’il se rencontre parfois en pratique, ne constitue pas véritablement, en tant que tel, une sanction, dans la mesure où, dans tout contrat à durée déterminée, les parties disposent du droit (fondamental) de ne pas être contraintes de le renouveler),

l’octroi de pénalités, généralement égales à un pourcentage de la différence entre l’objectif minimum et le résultat effectivement atteint,

la perte d’exclusivité ou la réduction du territoire exclusif (CJCE 30 avr. 1998, aff. C-230/96, Cabour SA et Nord Distribution Automobile SA c/ Arnor Soco SARL).


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