Obligation d’information précontractuelle et contrôle de la Cour de cassation

Cass. civ. 1ère, 3 novembre 2016, pourvoi n°15-24.886

La Cour de cassation procède parfois à un contrôle restreint de la motivation des arrêts de cours d’appel relatifs à l’obligation d’information précontractuelle.

Ce qu’il faut retenir : La Cour de cassation procède parfois à un contrôle restreint de la motivation des arrêts de cours d’appel relatifs à l’obligation d’information précontractuelle.

Pour approfondir : Estimant que le franchiseur avait commis un dol à leur égard, en ne respectant pas les exigences des articles L.330-3 et R.330-1 du Code de commerce, le franchisé et son dirigeant l’avaient assigné en nullité du contrat de franchise.

En substance, ils reprochaient au franchiseur :

  • de leur avoir sciemment dissimulé les raisons pour lesquelles l’exploitation du précédent franchisé, situé sur le territoire sur lequel ils étaient eux-mêmes candidats, à 500 m de leur propre restaurant, s’était soldée par un échec ;
  • d’avoir manqué à son obligation de présenter loyalement le réseau d’exploitants et le nombre d’entreprises ayant cessé de faire partie de ce réseau au cours de l’année précédant la délivrance du DIP ;
  • de leur avoir transmis des chiffres prévisionnels erronés afin de la convaincre d’adhérer au réseau.

La Cour d’appel (CA Colmar, 24 juin 215, inédit) avait suivi le raisonnement du franchisé et de son gérant et avait prononcé la nullité du contrat de franchise, au motif que le franchiseur avait transmis « des informations qui ne peuvent être qualifiées d’erreur de sa part mais qui, à l’opposé, par leur caractère erroné et dénué de sérieux, sont révélatrices de la volonté délibérée de sa part de tromper le consentement de son cocontractant ».

Le moyen unique présenté au soutien du pourvoi s’articulait comme suit :

  • le dol n’est constitué que lorsque les manœuvres dolosives ont entraîné une erreur du cocontractant ; qu’au cas présent, la société franchiseur faisait valoir devant la cour d’appel que, dans la mesure où il était constant que M. X… avait été informé de l’adresse du précédent point de vente à Mérignac et que celui-ci se situait à 500 m de son propre point de vente, il avait nécessairement connaissance de la circonstance que ce point de vente avait fermé depuis lors ; qu’en retenant que la société franchiseur aurait volontairement caché à son cocontractant la fermeture du premier point de vente à Mérignac, sans rechercher, ainsi qu’il le lui était demandé, si la société YSMB et M. X… n’en avaient pas nécessairement eu connaissance par eux-mêmes, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1116 et 1382 du code civil ;
     
  • la société franchiseur faisait valoir devant la cour d’appel qu’au cas présent, M. X… n’avait pas considéré les calculs de profitabilité et de comptes prévisionnels comme un élément déterminant de son consentement dans la mesure où M. X… avait souhaité conclure « le plus rapidement possible » et qu’il n’avait réalisé les prévisionnels que postérieurement au consentement donné ; que, pour toute réponse, la cour d’appel s’est bornée à énoncer que « à l’évidence, l’établissement des comptes prévisionnels sont un élément déterminant du processus de consentement » ; qu’en statuant ainsi, par des motifs généraux et abstraits, sans rapport avec les faits de l’espèce, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
  • l’erreur, provoquée par dol ou non, est un décalage entre la réalité et la représentation qu’en a eu l’une des parties ; que le simple fait que les résultats prévus ne soient pas atteints n’établit pas une erreur de la part du franchisé dès lors qu’il n’est pas établi que cet échec est imputable au caractère exagérément optimiste des résultats prévus, ce qu’il appartient à la cour de vérifier ; qu’au cas présent, pour caractériser une erreur sur la rentabilité, la cour d’appel s’est bornée à constater que la société Y… n’avait pas réalisé les résultats escomptés ; qu’en statuant ainsi, sans rechercher ni établir que cet échec aurait été imputable à des données exagérément optimistes communiquées par la société franchiseur, la cour d’appel a privé sa décision de base légale au regard de l’article 1116 du code civil ;
  • la société franchiseur faisait valoir qu’en tout état de cause, les prévisions établies par M. X… auraient pu être atteintes si le trafic routier n’avait pas été fortement perturbé après l’ouverture du point de vente, toutes les routes y conduisant ayant été successivement fermées ; que la cour d’appel a retenu une erreur sur la rentabilité par cela seul que le franchisé n’avait pas atteint les résultats prévisionnels sans répondre à ce moyen ; qu’en statuant ainsi, la cour d’appel a violé l’article 455 du code de procédure civile ;
  • la société franchiseur faisait valoir que M. X… avait lui-même choisi une surface de vente plus de quatre fois supérieure aux surfaces moyennes recommandées par la société franchiseur, ainsi qu’indiqué dans les différents documents remis à M. X…, et que ce choix, inhabituel, créait un risque que M. X… avait en toute connaissance de cause choisi d’assumer ; que la cour d’appel n’a pas répondu à ce moyen, en violation de l’article 455 du code de procédure civile.

Or, pour rejeter le pourvoi, l’arrêt commenté (Cass. civ. 1ère, 3 novembre 2016, pourvoi n°15-24.886) retient :

  • « Mais attendu qu’après avoir relevé, par motifs propres et adoptés, qu’il résultait des contrats de partenariat par elle conclus que la société S … s’engageait à fournir au partenaire les statistiques commerciales et les performances des autres établissements du réseau N …, avec l’affirmation que ces informations étaient indispensables à l’évolution de l’enseigne et aux performances du réseau, qu’il appartenait impérativement à celle-ci d’informer son cocontractant de la cessation d’exploitation de l’enseigne dans la même zone de chalandise, et, plus généralement, que la société S … avait l’obligation de faire une présentation loyale du réseau d’exploitants, l’arrêt retient qu’en occultant les raisons de l’échec du précédent franchisé ainsi que les répercussions qui en ont découlé sur le secteur au regard de la réputation commerciale de l’enseigne, en procédant à une présentation erronée du réseau et en opérant une transmission erronée des chiffres prévisionnels, le franchiseur a enfreint son obligation de sincérité sur des données nécessairement déterminantes au regard du consentement du franchisé et que les informations transmises, par leur caractère erroné et dénué de sérieux, sont révélatrices de la volonté délibérée de la société S … de tromper le consentement de son cocontractant » ;

    « Que, par ces seules énonciations, procédant de son appréciation souveraine, la cour d’appel, qui n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ni de procéder à des recherches que ses propres constatations rendaient inopérantes, a satisfait aux exigences de l’article 455 du code de procédure civile et légalement justifié sa décision ».

L’observateur peut être un peu surpris.

Que la cour d’appel dispose d’une appréciation souveraine est certes parfaitement justifié ; ce rappel n’inspire en soi aucune remarque particulière.

Toutefois, on peut être troublé à l’idée que la Cour de cassation n’ait pas réagi outre mesure à l’argument selon lequel la cour d’appel ait violé l’article 455 du code de procédure civile, en ne répondant pas aux conclusions du franchiseur, selon lequel le prévisionnel litigieux avait été remis postérieurement à l’échange des consentements, ce qui – par hypothèse – interdisait de retenir tout vice du consentement de ce chef. Ainsi que le soulignait le pourvoi, la formule adoptée par la cour d’appel (« à l’évidence, l’établissement des comptes prévisionnels sont un élément déterminant du processus de consentement ») était bien sans aucun rapport possible avec les faits de l’espèce, et aurait mérité (selon nous) une autre réponse de la cour suprême.

En effet, si l’on reprend les termes exacts du dernier attendu (précité) de l’arrêt commenté, la Cour de cassation semble indiquer que le défaut de réponse à conclusions imputable à la cour d’appel était finalement sans incidence sur la solution du litige, dès lors qu’au cas d’espèce l’arrêt critiqué avait retenu d’autres griefs (« la cour d’appel n’était pas tenue de (…) procéder à des recherches que ses propres constatations rendaient inopérantes … ») et que, ce faisant, « la cour d’appel n’était pas tenue de suivre les parties dans le détail de leur argumentation ».

Certes, pareil raisonnement est usuel, mais encore faudrait-il que l’arrêt de la cour d’appel soit suffisamment précis dans sa motivation (ici les motifs étaient bien généraux et abstraits) pour mettre la Cour de cassation en mesure de vérifier que ces griefs aient été, dans l’esprit même de la cour d’appel, de nature à pouvoir justifier à eux seuls le prononcé d’une solution identique.

A rapprocher : Interprétation et portée des arrêts de la Cour de cassation en matière civile, Bulletin d’information de la Cour de cassation, n°661, 15 mai 2007, p.6. ; v. aussi, le sort du moyen tiré du « défaut de réponse à conclusions », pouvant justifier selon les cas le rejet du pourvoi comme la cassation, cf. Voulet, L’interprétation des arrêts de la Cour de cassation,  JCP G, 1970, I, n ° 2305

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