Conserver la maîtrise des contrats après la réforme du droit des contrats

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Les précautions à prendre

Les dispositions issues de la réforme du droit des contrats peuvent être aménagées ou écartées par l’introduction de clauses adéquates permettant de ne pas subir les effets néfastes de cette réforme, donc de conserver la maîtrise des contrats face au juge, aux distributeurs et aux tiers : les précautions à prendre.

Ce qu’il faut retenir : Les dispositions issues de la réforme du droit des contrats peuvent être aménagées ou écartées par l’introduction de clauses adéquates permettant de ne pas subir les effets néfastes de cette réforme, donc de conserver la maîtrise des contrats face au juge, aux distributeurs et aux tiers.

Pour approfondir : Vous le savez, le 1er octobre 2016 est entrée en vigueur l’ordonnance n°2016­-131 portant, notamment, réforme du droit des contrats. Cette réforme est particulièrement significative en ce qu’elle modifie la colonne vertébrale du droit des contrats tel que nous le connaissions. La liberté contractuelle est amoindrie et le nombre de dispositions a considérablement augmenté. Cette réforme résulte d’une volonté politique affirmée de protection accrue de la partie qualifiée de « plus faible ». Appliquées aux contrats d’affaires, notamment aux contrats de distribution, les nouvelles règles issues de la réforme pourront conduire à protéger, parfois de manière excessive, les distributeurs au détriment des têtes de réseaux. Fort heureusement, la majorité des dispositions issues de la réforme peuvent être aménagées ou écartées par l’introduction dans vos contrats de clauses adéquates permettant de ne pas subir les effets néfastes de la réforme, donc de conserver la maîtrise de vos contrats face :

 

(I.)               au juge,

(II.)             aux distributeurs,

(III.)           aux tiers.

 

I. Conserver la maîtrise de votre contrat face au juge 

La réforme offre au juge des prérogatives inédites et exorbitantes qui lui permettront, plus que jamais, de s’immiscer dans vos contrats (A.) ou de l’interpréter dans un sens défavorable à la tête de réseau en cas d’imprécision ou d’obscurité (B.).

A. Assurer l’intangibilité et l’efficacité du contenu du contrat

1. Prévoir précisément la procédure applicable entre les parties en cas de survenance d’un évènement imprévisible – En l’absence de stipulation contraire des parties, le nouvel article 1195 du Code civil prévoit un mécanisme de révision ou de résiliation pour imprévision qui conduira in fine, en cas de désaccord entre les parties sur les termes d’une renégociation, à la révision du contrat ou sa résiliation par le juge, à la date et aux conditions qu’il fixe. Ce dispositif nous semble particulièrement dangereux et nous semble devoir être écarté expressément au profit d’une clause qui devra prévoir un dispositif de révision valable autant juridiquement (c’est le minimum) qu’opérationnellement.

2. Identifier et motiver efficacement les clauses sensibles de vos contrats – Le nouvel article 1171 du Code civil répute « non écrite » toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties dans un contrat d’adhésion. Pour vous prémunir contre ce risque, il est nécessaire, dans un premier temps, d’identifier les clauses de vos contrats qui pourraient créer un déséquilibre afin, dans un second temps, de les motiver de manière adéquate pour en assurer le maintien par le juge.

3. Préciser les causes de résiliation anticipée de vos contrats en cas d’inexécution par le distributeur – Les nouveaux articles 1224 et suivants du Code civil prévoient les cas dans lesquels le contrat peut être résilié en cas d’inexécution du cocontractant ; cela est possible, soit par application d’une clause résolutoire, quelle que soit la gravité de l’inexécution, soit par décision de justice ou notification, en cas d’inexécution suffisamment grave. Le plus grand soin devra être apporté à la rédaction des clauses résolutoires, dès lors qu’au regard de la rédaction des nouveaux textes, il existe une incertitude sur la validité des clauses « balais » qui s’appliqueraient pour « tout manquement ». Nous préconisons donc, en plus de revoir l’organisation générale de la résiliation anticipée du contrat, de réécrire vos clauses résolutoires pour en assurer la validité et l’efficacité hors l’intervention, nécessairement aléatoire, d’un juge.

B. Ne laisser aucune place à l’interprétation par le juge de votre contrat Le nouvel article 1190 du Code civil énonce que, dans le doute, le contrat d’adhésion s’interprète « contre celui qui l’a proposé » ; soit, en règle générale, contre la tête de réseau. Pour vous prémunir contre ce risque, il sera nécessaire d’auditer votre contrat, au regard notamment de la pratique décisionnelle des juridictions, afin de supprimer toute source de doute qui pourrait faire dépendre l’efficacité de votre contrat de l’intervention du juge.

 

II. Conserver la maîtrise de votre contrat face aux distributeurs

La réforme crée des prérogatives exorbitantes au profit des contractants qui constituent autant d’armes redoutables dont pourraient se prévaloir les distributeurs ; il conviendra de les écarter expressément (A.). En outre, la réforme conduit à s’interroger sur les informations à échanger entre les parties préalablement à la conclusion du contrat afin d’éviter que le distributeur ne se plaigne de ne pas avoir été suffisamment informé (B.).

A. Ecarter expressément certaines prérogatives exorbitantes dont le distributeur pourrait se prévaloir

1. Ecarter expressément la faculté pour une partie de suspendre ses obligations au cas où elle anticiperait le manquement, par l’autre partie, à ses propres obligations – Ce nouveau dispositif est issu de l’article 1220 du Code civil ; il nous paraît dangereux tout d’abord du fait de l’imprécision des termes qu’elle emploie (inexécution « manifeste » et conséquences « suffisamment graves ») mais également du fait des situations de blocage que son application pourrait provoquer dans le cas particulier des réseaux de distribution.

2. Ecarter expressément la faculté pour une partie de réduire unilatéralement le prix qu’elle paie dans  le cas d’une exécution imparfaite de ses obligations par l’autre partie – Dans la même veine que l’article 1220 évoqué ci-dessus, l’article 1223 du Code civil permet à une partie, unilatéralement, après une mise en demeure, d’accepter une exécution imparfaite du contrat et solliciter une réduction proportionnelle du prix. Là encore, la notion d’inexécution imparfaite du contrat nous paraît très imprécise et, donc, dangereuse. En outre, un débat ne manquera pas de s’élever sur le quantum de l’inexécution permettant une réduction proportionnelle du prix. Ce dispositif nous paraît particulièrement défavorable aux têtes de réseau de distribution, qui détiennent une créance de prix sur leurs distributeurs, et qui ne manqueront pas de se voir opposer une telle réduction unilatérale du prix pour le moindre reproche formulé par le distributeur. Une réflexion doit donc être menée sur le fait d’écarter cette disposition.

3. Eviter d’être en présence d’un groupe de contrats au sens de l’article 1186 du Code civil, et de laisser l’opportunité au distributeur de tirer argument de la disparition d’un contrat pour échapper à l’exécution d’un autre – Le nouvel article 1186 du Code civil prévoit que lorsque l’exécution de plusieurs contrats est nécessaire à la réalisation d’une même opération et que l’un d’eux disparaît, sont caducs les contrats dont l’exécution est rendue impossible par cette disparition et ceux pour lesquels l’exécution du contrat disparu était une condition déterminante du consentement d’une partie. Afin d’éviter par exemple qu’un distributeur ayant obtenu l’anéantissement d’un contrat lié à l’exécution d’un contrat de franchise (ex. contrat d’approvisionnement) puisse se prévaloir de la caducité de ce dernier, il nous semble indispensable d’écarter le jeu de l’article 1186 du Code civil.

B. Déterminer les informations à fournir au distributeur/à faire fournir par le distributeur préalablement à la conclusion du contrat – L’article 1112-1 du Code civil rend désormais chaque partie débitrice d’un devoir d’information précontractuelle à l’égard de l’autre. Ce devoir, bien connu des franchiseurs, est donc étendu à tous types de contrats et à tous les contractants. Il conviendra donc d’intégrer dans vos contrats des déclarations adéquates des parties.

 

III. Conserver la maîtrise de votre contrat face aux tiers

La réforme introduit enfin la possibilité pour les tiers au contrat de s’en prévaloir et de contraindre les parties. Ces nouvelles dispositions doivent être connues pour être anticipées et encadrées.

A. Maîtriser l’action interrogatoire des tiers – L’article 1123 du Code civil prévoit la faculté pour un tiers de questionner une partie sur l’existence d’un pacte de préférence dans le contrat et la volonté de ladite partie de s’en prévaloir. A défaut de réponse, la partie interrogée ne pourra plus solliciter sa substitution au contrat conclu avec le tiers ou la nullité du contrat. Les clauses de préemption sur les fonds de commerce et/ou titres de société du distributeur étant des pactes de préférence, les têtes de réseau qui prévoient dans leurs contrats une telle clause doivent être particulièrement informées.

B. Anticiper la cession du contrat à un tiers – Les articles 1216 et suivants du Code civil réglementent désormais la capacité pour une partie de céder le contrat à un tiers. Il est indispensable de déterminer précisément dans les contrats si chacune des parties est autorisée (ou non) à céder ses obligations issues du contrat à un tiers et, dans l’affirmative, de prévoir les conditions dans lesquelles le cédant sera libéré de ses obligations ou restera lié avec le cessionnaire.

A rapprocher : Colloque du 28 juin 2016 : « Les impacts de la réforme du droit des contrats sur les réseaux de distribution« 

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