Réseaux de franchise : la constitutionnalité de l’instance de dialogue social

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Décision n° 2016-736 DC du 4 août 2016

Le texte définitif de la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a été adopté le 21 juillet 2016. L’article 64 de ce texte, qui tend à mettre en place une instance de dialogue social dans les réseaux de franchise, a suscité de vives controverses et des inquiétudes multiples souvent justifiées.

Ce qu’il faut retenir : Le texte définitif de la loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des parcours professionnels a été adopté le 21 juillet 2016. L’article 64 de ce texte, qui tend à mettre en place une instance de dialogue social dans les réseaux de franchise, a suscité de vives controverses et des inquiétudes multiples souvent justifiées.

Pour approfondir : Le texte définitif du projet de loi relative au travail, à la modernisation du dialogue social et à la sécurisation des  parcours  professionnels  a  été  adopté  le  21 juillet 

2016 (ci-après la « Loi »). Le bien connu article 64 de ce texte, qui tend à mettre en place une instance de dialogue social dans les réseaux de franchise, a suscité de vives controverses et des inquiétudes multiples souvent justifiées.

Examinant les dispositions de l’article 64 de la Loi, par suite de la saisine initiée par un groupe de sénateurs et deux groupes de députés, la décision n° 2016-736 DC du 4 août 2016 du Conseil constitutionnel a écarté la plupart des griefs exprimés par les requérants, tout en formulant deux réserves d’interprétation et une censure partielle.

 

I/ Le texte de l’article 64 de la loi avant son examen par le Conseil constitutionnel

Avant son examen par le Conseil constitutionnel, l’article 64 de la Loi était rédigé comme suit :

« I. – Dans les réseaux d’exploitants d’au moins trois cents salariés en France, liés par un contrat de franchise mentionné à l’article L. 330-3 du code de commerce qui contient des clauses ayant un effet sur l’organisation du travail et les conditions de travail dans les entreprises franchisées, lorsqu’une organisation syndicale représentative au sein de la branche ou de l’une des branches dont relèvent les entreprises du réseau ou ayant constitué une section syndicale au sein d’une entreprise du réseau le demande, le franchiseur engage une négociation visant à mettre en place une instance de dialogue social commune à l’ensemble du réseau, comprenant des représentants des salariés et des franchisés et présidée par le franchiseur.

L’accord mettant en place cette instance prévoit sa composition, le mode de désignation de ses membres, la durée de leur mandat, la fréquence des réunions, les heures de délégation octroyées pour participer à cette instance et leurs modalités d’utilisation.

À défaut d’accord :

1° Le nombre de réunions de l’instance est fixée à deux par an ;

2° Un décret en Conseil d’État détermine les autres caractéristiques mentionnées au deuxième alinéa.

Les membres de l’instance sont dotés de moyens matériels ou financiers nécessaires à l’accomplissement de leurs missions. Les dépenses de fonctionnement de l’instance et d’organisation des réunions ainsi que les frais de séjour et de déplacement sont pris en charge selon des modalités fixées par l’accord ou, à défaut, par le franchiseur.

Lors de sa première réunion, l’instance adopte un règlement intérieur déterminant ses modalités de fonctionnement.

Lors des réunions mentionnées au deuxième alinéa et au 1° du présent I, l’instance est informée des décisions du franchiseur de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle des salariés des franchisés.

Elle est informée des entreprises entrées dans le réseau ou l’ayant quitté.

L’instance formule, à son initiative, et examine, à la demande du franchiseur ou de représentants des franchisés, toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d’emploi et de formation professionnelle des salariés dans l’ensemble du réseau ainsi que les conditions dans lesquelles ils bénéficient de garanties collectives complémentaires mentionnées à l’article L. 911-2 du code de la sécurité sociale.

Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent I, en particulier le délai dans lequel le franchiseur engage la négociation prévue au premier alinéa du présent I.

II. – Les organisations syndicales et les organisations professionnelles des branches concernées établissent un bilan de la mise en œuvre du présent article et le transmettent à la Commission nationale de la négociation collective au plus tard dix-huit mois après la promulgation de la présente loi ».

En d’autres termes, pour résumer les choses, l’article 64 prévoit, dans le 1er alinéa de son paragraphe I, sous certaines conditions, la mise en place, dans les réseaux d’exploitants d’au moins 300 salariés en France, liés par un contrat de franchise, d’une instance de dialogue social commune à l’ensemble du réseau.

Cette instance comprend des représentants des salariés et des employeurs franchisés. Elle est présidée par le « franchiseur ». Le 2ème alinéa de ce même paragraphe renvoie à l’accord mettant en place cette instance, sa composition, le mode de désignation de ses membres, la durée de leur mandat, la fréquence des réunions, les heures de délégation octroyées pour y participer et leurs modalités d’utilisation. Ses 3ème à 5ème alinéas précisent qu’à défaut d’accord le nombre de réunions de l’instance est fixé à deux par an et qu’un décret en Conseil d’État détermine les autres caractéristiques de son fonctionnement. Son 6ème alinéa détermine les modalités de prise en charge des coûts de fonctionnement. Ses 8ème à 10ème alinéas lui permettent d’être informée des décisions du franchiseur de nature à affecter les effectifs, la durée du travail ou les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle des salariés des franchisés ainsi que de formuler toute proposition de nature à améliorer les conditions de travail, d’emploi et de formation professionnelle des salariés dans l’ensemble du réseau ainsi que les conditions dans lesquelles ils bénéficient de garanties collectives complémentaires mentionnées à l’article L. 911-2 du code de la sécurité sociale. Le paragraphe II de l’article 64 prévoit l’établissement d’un bilan de la mise en œuvre de cet article.

 

II/ La Saisine du Conseil constitutionnel

Le groupe de sénateurs sollicitait que l’article 64 soit intégralement déclaré contraire à la Constitution. En substance, le groupe de sénateurs faisait valoir :

  • tout d’abord que l’article 64 porte atteinte à la fois au principe même du régime de la franchise et à la liberté d’entreprendre, d’une part, en instaurant un lien totalement nouveau entre le franchiseur et les franchisés, remettant en cause l’indépendance de ces derniers et, d’autre part, en imposant au franchiseur la mise en place d’une instance de dialogue social comprenant les salariés des franchisés, alors que ceux-ci ne sont pas ses propres salariés ;
     
  • ensuite que l’article 64 porte atteinte au principe constitutionnel d’égalité, prévu par l’article 6 de la Déclaration de 1789, selon lequel  la loi « doit être la même pour tous, soit qu’elle protège, soit qu’elle punisse » ; il était observé en effet que l’article 64 vise uniquement les « réseaux de franchise » et qu’il existe donc une différence de traitement avec d’autres commerces organisés en réseau : coopératives, concessions, distributions, licences de marques, affiliation ;
     
  • enfin que l’article 64 porte atteinte au principe de participation des travailleurs, prévu par le 8ème alinéa du Préambule du 27 octobre 1946, selon lequel « Tout travailleur participe, par l’intermédiaire de ses délégués, à la détermination collective des conditions de travail ainsi qu’à la gestion des entreprises », dès lors qu’il s’agit ici d’imposer au franchiseur de mettre en place une institution de dialogue et des institutions représentatives en dehors de toute « entreprise » et de toute « communauté de travail » au sens de la jurisprudence constitutionnelle.

Le premier groupe de députés faisait valoir une argumentation voisine à celle concluant à la non-conformité au 8ème alinéa du Préambule du 27 octobre 1946, tandis que le second se limitait à contester la procédure d’adoption de la Loi.

 

III/ La conformité de l’article 64 de la Loi à la Constitution

En premier lieu, le Conseil constitutionnel retient que les dispositions de l’article 64 ne méconnaissent pas le principe de participation des travailleurs. En substance, il souligne sèchement que les dispositions de l’article 64 n’ont ni pour objet ni pour effet de porter atteinte à l’existence et au fonctionnement des instances représentatives du personnel des franchisés et franchiseurs, et que le grief tiré de la méconnaissance du principe de participation des travailleurs à la détermination de leurs conditions de travail et à la gestion de leur entreprise doit donc être écarté.

En deuxième lieu, le Conseil constitutionnel retient que les dispositions de l’article 64 ne méconnaissent pas le principe d’égalité. En substance, il souligne qu’en imposant aux seuls réseaux d’exploitants liés par un contrat de franchise la mise en place d’une instance de dialogue regroupant les salariés de ces différents exploitants, à l’exclusion des autres formes juridiques de réseaux commerciaux, « le législateur a traité différemment des situations différentes », dès lors que les caractéristiques des contrats de franchise conduisent à ce que l’encadrement des modalités d’organisation et de fonctionnement des entreprises franchisées puisse avoir un impact sur les conditions de travail de leurs salariés.

Selon le Conseil constitutionnel, cette différence de traitement est par ailleurs en rapport avec l’objet même de la Loi tendant à prendre en compte, par la création d’une instance de dialogue social, l’existence d’une communauté d’intérêt des salariés des réseaux de franchise.

Enfin, le Conseil constitutionnel retient que les dispositions de l’article 64 ne méconnaissent pas la liberté d’entreprendre.

En substance, il retient qu’il est loisible au législateur d’apporter à la liberté d’entreprendre des limitations liées à des exigences constitutionnelles ou justifiées par l’intérêt général, à la condition qu’il n’en résulte pas d’atteintes disproportionnées au regard de l’objectif poursuivi et qu’en adoptant les dispositions contestées, le législateur a précisément poursuivi un objectif d’intérêt général puisqu’il a entendu permettre aux représentants des salariés des employeurs franchisés d’être informés des décisions du franchiseur « de nature à affecter le volume ou la structure des effectifs, la durée du travail ou les conditions d’emploi, de travail et de formation professionnelle des salariés des franchisés » et de formuler des propositions.

Deux réserves d’interprétation et une censure partielle sont néanmoins formulées.

 

IV/ Les deux réserves d’interprétation relatives à l’article 64 de la Loi

Les réserves d’interprétation portent sur les 2ème et 5ème alinéas de l’article 64. Le texte prévoit qu’à défaut d’accord pour mettre en place une instance de dialogue social, un décret en Conseil d’État détermine (notamment) les heures de délégation accordées aux salariés des franchisés.

En premier lieu, le Conseil constitutionnel a jugé que le principe même de l’accord mettant en place l’instance de dialogue social n’est pas contraire à la liberté d’entreprendre sous réserve que les employeurs franchisés participent à cette négociation.

En second lieu, le Conseil constitutionnel ajoute que le législateur ne pouvait, sans méconnaître l’étendue de sa compétence, prévoir l’existence d’heures de délégation spécifiques pour l’instance de dialogue créée sans encadrer le nombre de ces heures.

Le décret en Conseil d’État ne pourra donc pas ajouter des heures de délégations supplémentaires à celles qui sont prévues par le droit commun.

 

V/ La censure partielle de l’article 64 de la Loi

La censure partielle de l’article 64 porte sur les dépenses de fonctionnement de l’instance de dialogue social.

Le Conseil constitutionnel a jugé que, compte tenu de l’objectif poursuivi par le législateur, dont la portée ne peut qu’être limitée en raison de l’absence de communauté de travail existant entre les salariés des franchisés, ces dispositions, qui imputent l’intégralité des dépenses et des frais aux seuls franchiseurs, à l’exclusion des franchisés, portent une atteinte disproportionnée à la liberté d’entreprendre.

Le Conseil constitutionnel a, en conséquence, déclaré contraires à la Constitution les mots « ou, à défaut, par le franchiseur » figurant au 6ème alinéa de l’article 64.

A rapprocher : Décision n° 2016-736 DC du 04 août 2016

 

Avertissement : depuis la rédaction de cet article, le 6 septembre 2016, la loi a été adoptée et un décret d’application a été publié au Journal Officiel le 6 mai 2017. François-Luc SIMON (Associé-gérant, SIMON Associés) est l’auteur d’un analyse consacrée à « l’instance de dialogue social dans les réseaux de franchise », qui sera publiée la semaine du 17 juillet 2017 par le Groupe d’édition LEXTENSO, à travers sa revue « Les Petites Affiches » (numéros à paraître 140, 141, 142, 143,144, 145). Le texte intégral de cette analyse sera mis en ligne sur le site de la Lettre des réseaux, autour du 15 septembre 2017. Vous trouverez ici un aperçu de cette analyse à travers son sommaire détaillé : CLIQUEZ ICI POUR UN APERCU

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