Contrat de franchise et devoir général d’information

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Applicable aux contrats signés ou renouvelés à compter du 1er octobre 2016

La réforme du droit des contrats modifie pour partie le devoir d’information qui pèse sur le franchiseur et érige – ce qui constitue en soi une petite révolution – un devoir du franchisé d’informer son franchiseur.

Ce qu’il faut retenir : La réforme du droit des contrats modifie pour partie le devoir d’information qui pèse sur le franchiseur et érige – ce qui constitue en soi une petite révolution – un devoir du franchisé d’informer son franchiseur.

Pour approfondir : On le sait, la jurisprudence a reconnu de longue date l’existence d’un dol par réticence dolosive puis érigé un véritable devoir de communiquer à tout cocontractant les informations que celui-ci n’est pas en mesure de pouvoir se procurer facilement. Et la réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations (Ord. 2016-131 du 10 fév. 2016 : JO 11 févr. 2016, qui entrera en vigueur le 1er octobre prochain) participe de ce mouvement général tendant à la protection des contractants dans la phase précontractuelle, en instituant un devoir général d’information, désormais inscrit dans la loi, le code civil plus précisément, donc le droit commun.

Cette nouveauté est d’autant plus remarquable que le dispositif institué est d’ordre public, de sorte que les parties ne peuvent ni l’exclure, ni même le limiter (C. civ., art. 1112-1), dans le large domaine que lui assigne la loi, qui s’attache à exclure (tout au plus) du champ d’application de ce texte l’information relative à l’estimation de la valeur de la prestation. L’importance de ce devoir général d’information conduit donc à revenir successivement sur le contenu de la réforme, posant les règles fondamentales d’un droit nouveau, avant d’évoquer son incidence sur le devoir général d’information qui pèse désormais sur chacune des parties au contrat de franchise. Il conviendra alors de prendre soin de distinguer le devoir d’information du franchiseur (d’informer le franchisé) et – réciproquement, mais distinctement – le devoir du franchisé (d’informer le franchiseur). Leurs devoirs respectifs d’information appellent des observations bien distincts dans la mesure où le Code civil « bilatéralise » le devoir d’information de chacune des deux parties contractantes, tandis que les articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce continuent de ne faire peser d’obligation qu’à la charge d’un seul, le franchiseur.

 

I. Le devoir général d’information au regard de la réforme du droit des contrats

Le devoir général d’information institué à l’article 1112-1 du Code civil pèse sur « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre », celle-ci devant « l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant » (Nous soulignons). Il est précisé au troisième alinéa de ce texte qu’« ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ». Quant au quatrième alinéa, il ajoute qu’ « il incombe à celui qui prétend qu’une information lui était due de prouver que l’autre partie la lui devait ». La règle de preuve ainsi posée au quatrième alinéa correspond à la solution dégagée en jurisprudence, les praticiens souhaitant consacrer explicitement dans la loi ce rappel du droit commun de la preuve ; c’est chose faite. L’adverbe « légitimement » occupe une importance capitale : l’ignorance prétendue devrait être considérée comme « illégitime », quand la partie victime du défaut d’information pouvait se renseigner et a décidé néanmoins de s’en abstenir. La violation du devoir d’information engage la responsabilité de la personne qui y était tenue, sur un fondement extracontractuel, ce que la jurisprudence devra toutefois confirmer, l’article 1112-1 précité ne renvoyant aux règles sur les vices du consentement (les nouveaux articles 1130 et suivants du Code civil) que si la victime poursuit l’annulation du contrat.

Dans ce cas de figure, la victime devrait alors pouvoir obtenir l’anéantissement de son contrat, à l’encontre du cocontractant qui a délibérément passé sous silence une situation propre à dissuader l’autre partie de sa volonté de contracter. A cet égard, la solution issue de la réforme devrait correspondre aux solutions antérieures. Il appartiendra aux juridictions du fond de déterminer la part causale résultant du défaut d’information fautif du cocontractant.

 

II. L’incidence de la réforme sur le devoir du franchiseur d’informer le franchisé

Ce que la réforme ne modifie pas

Depuis une vingtaine d’années, le franchiseur est soumis aux exigences des articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce. Ces textes demeureront naturellement applicables après la réforme, le droit commun n’ayant pas vocation à modifier l’interprétation à donner à ce texte spécial. A cet égard, rien ne change.

Ce que la réforme modifie

L’entrée en vigueur de l’ordonnance modifie toutefois les « choses » en ce sens que le franchiseur devra désormais se conformer non plus seulement aux articles L. 330-3 et R. 330-1 du Code de commerce, mais également à l’article 1112-1 du Code civil. Ces deux familles de textes devraient se superposer, ce que la jurisprudence sans doute confirmera le moment venu. A ce stade, il est prudemment recommandé aux franchiseurs de considérer que les deux familles de texte se superposent.

La conséquence pratique de cette évolution n’est pas tout à fait neutre dans la mesure où, concrètement, le franchiseur n’aura plus seulement à démontrer que les informations limitativement énoncées à l’article R. 330-1 précité auront été transmises à son cocontractant. Il devra démontrer en outre avoir effectivement transmis toutes les informations « dont l’importance est déterminante pour le consentement » du franchisé (C. civ., art. 1112-1).

Il y a là – par nature – une différence dans le contenu des informations ainsi visées par le Code civil et le Code de commerce, puisque le premier texte définit ces informations par leur nature (celles qui sont déterminantes du consentement du cocontractant), tandis que le second les définit par leur objet (celles qui sont limitativement énoncées à l’article R. 330-1 précité).

Cette différence est à la fois « facteur de contentieux » et « relative ». Elle est tout d’abord « facteur de contentieux » car elle suscitera sans doute l’imagination créatrice (parfois déjà grande) des franchisés désireux d’obtenir l’annulation du contrat pour n’avoir pas pu disposer des informations ne relevant pas de l’article R. 330-1 précité ; pour le dire autrement, les franchisés pourront désormais tenter d’engager un contentieux, au visa de l’article 1112-1 du Code civil, pour faire grief au franchiseur de n’avoir pas communiquer une information non comprise à l’article R. 330-1 précité) ; la tentation sera grande.

Mais cette différence demeure toutefois « relative » car même si l’article 1112-1 du Code civil n’enferme les hypothèses qu’il vise par aucune liste limitative, une information ne relevant pas de l’article R. 330-1 précité sera le plus souvent considérée comme n’étant pas de nature à s’avérer « déterminante pour le consentement » du franchisé, ce d’autant que la liste de l’article R. 330-1 est déjà très complète ; en outre, il incombera au franchisé prétendant qu’une information lui était due de démontrer que le franchiseur la lui devait, conformément aux prescriptions de l’alinéa 4 de l’article 1112-1 du Code civil. Ce faisant, que l’on se place sous l’angle du droit commun ou du droit spécial, le franchisé devra toujours prouver que son consentement a effectivement été vicié.

Ce que la réforme renforce

Pour finir sur la question de l’incidence de la réforme sur le devoir du franchiseur d’informer le franchisé, il y a lieu d’évoquer le devoir du franchisé de « se » renseigner.

Il convient d’indiquer sur ce point, ainsi que nous l’avons déjà plusieurs fois souligné, que le franchisé est tenu à un véritable devoir de « se » renseigner au cours de la phase précontractuelle. Ce devoir a été érigé par la jurisprudence et a conduit à une série de très nombreuses décisions, utiles par leurs enseignements au plan pratique et la protection qu’elles confèrent au franchiseur qui en respecte les principes (v. sur l’ensemble de la question, F.-L. Simon, Le devoir du franchisé de « se » renseigner, 29 mai 2015).

Or, la réforme du droit des contrats renforce le devoir du franchisé de « se » renseigner puisqu’elle inscrit et fige désormais dans la loi, ce qui figurait déjà au fil des décisions jurisprudentielles. Le devoir général d’information pèse sur « celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre », celle-ci devant « l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ». L’ignorance prétendue devrait être considérée comme « illégitime », quand le franchisé victime du défaut d’information pouvait se renseigner et a décidé néanmoins de s’en abstenir.

C’est pourquoi le  rapport au Président de la République souligne, en guise de commentaire de ce texte : « le devoir de s’informer fixe-t-il la limite de l’obligation précontractuelle d’information ». Il y a là une petite révolution.

 

III. L’incidence de la réforme sur le devoir du franchisé d’informer le franchiseur

A la différence du franchiseur, déjà soumis aux exigences des articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce, le franchisé – lui – a jusqu’à présent évolué dans un environnement juridique très peu contraignant au stade de la phase précontractuelle. Tout au plus, était-il tenu à une obligation, de source jurisprudentielle, de contracter de bonne foi, peu protectrice pour le franchiseur (CA Rennes, 6 déc. 2011, n°09/02275).

Le franchisé devra désormais, ce qui constitue en soi une petite révolution, se plier à l’exigence d’information que l’article 1112-1 du Code civil lui impose désormais, en raison de son caractère d’ordre public.

Concrètement, cela signifie que le franchisé qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement du franchiseur (C. civ. art. 1112-1) devra désormais la transmettre à ce dernier. Et, compte tenu de la généralité des termes employés par ce texte, les informations concernées sont par nature illimitées.

Par ailleurs, dès lors que, selon l’alinéa 3 du texte « ont une importance déterminante les informations qui ont un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties », le franchisé devra en tout état de cause transmettre deux catégories d’information au moins :

  • celles « présentant un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat » ; le contenu du contrat guidera donc l’étendue du devoir d’information du franchisé ;
     
  • celles relatives à sa « qualité », ce d’autant que le contrat de franchise est souvent conclu intuitu personae.

Dans ce contexte législatif nouveau, il restera recommander de recourir à l’emploi d’une clause de déclarations préalables permettant de sécuriser les informations communiquées au franchiseur (F.-L. Simon, La clause de déclarations préalables dans les contrats de franchise (Etude – avril 2015) ; Intervention de F.-L. Simon, Colloque de la Revue des contrats, 16 novembre 2011, spéc. II.B.1.).

Il est précisé que les actes du Colloque du 28 juin 2016 consacrés à la réforme du droit des contrats seront prochainement publiés.

A rapprocher : Ord. n° 2016-131 du 10 février 2016, et notre commentaire

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