Réforme du droit des contrats

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016

L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations constitue la réforme la plus profonde du droit des contrats depuis le Code civil de 1804.

Ce qu’il faut retenir : L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations constitue la réforme la plus profonde du droit des contrats depuis le Code civil de 1804.

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Pour approfondir : L’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations modifie un très grand nombre d’articles du Code civil, bouleverse en profondeur les habitudes et réflexes acquis par les praticiens, et introduit des mécanismes totalement inédits, appelés à devenir bientôt les outils de la technique contractuelle et du contentieux de demain. La Lettre des Réseaux reviendra en détail le moment venu sur les conséquences de cette réforme; pour l’heure, en voici un premier aperçu.

I. Négociation et formation du contrat

Généralités : La réforme introduit dans le code civil un chapitre I, intitulé « Dispositions liminaires », composé de douze articles (1101 à 1111-1 nouveaux du code civil) posant notamment les principes de la liberté contractuelle (C. civ., art. 1102 nouveau), de la force obligatoire du contrat (C. civ., art. 1103 nouveau) et de la bonne foi dans la négociation et l’exécution (C. civ., art. 1104 nouveau). Ces dispositions liminaires proposent par ailleurs des définitions, en s’inspirant selon les cas de l’actuel code civil ou de la pratique : sont successivement définis les contrats nommés et innommés (C. civ., art. 1105 nouveau), les contrats synallagmatiques et unilatéraux (C. civ., art. 1106 nouveau), les contrats à titre onéreux et à titre gratuit (C. civ., art. 1107 nouveau), les contrats commutatifs et aléatoires (C. civ., art. 1108 nouveau), les contrats consensuels, solennels, et réels (C. civ., art. 1109 nouveau), les contrats de gré à gré et d’adhésion (C. civ., art. 1110 nouveau), les contrats cadres (C. civ., art. 1111 nouveau), et les contrats à exécution instantanée et à exécution successive (C. civ., art. 1111-1 nouveau).

Deux dispositions attirent plus particulièrement l’attention des praticiens du droit de la distribution et du droit de la franchise : la bonne foi et l’obligation générale d’information.

Bonne foi : Alors que l’actuel article 1134 du code civil limite l’exigence de bonne foi à la seule exécution du contrat, l’ordonnance l’étend désormais, d’une part, à la phase de négociation et de formation du contrat (C. civ., art. 1104 nouveau) et, d’autre part, à la rupture des pourparlers (C. civ., art. 1112 nouveau).

D’une part, en effet, l’article 1104 (nouveau) du code civil étend désormais l’exigence de bonne foi à la phase de négociation et de formation du contrat. L’alinéa 1er de l’article 1104 (nouveau) du code civil dispose : « Les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi ». Conformément à la jurisprudence (Pour une vue d’ensemble, S. Tisseyre, Le rôle de la bonne foi en droit des contrats, PUAM, 2012. Adde, La bonne foi, Travaux de l’Association H. Capitant, 1994), l’ordonnance soumet à ce devoir impérieux tant la négociation du contrat que sa formation, au sens strict comme la phase de rencontre des volontés. L’ordonnance étant supplétive de volonté, sauf disposition contraire, le 2ème alinéa de l’article 1104 (nouveau) du code civil ajoute aussitôt que le devoir de bonne foi est une disposition d’ordre public : « Cette disposition est d’ordre public ». En ce sens, cette précision évoque les Principes du droit européen du contrat (art. 1:202 (2), les Principes d’Unidroit (art. 1.7. (2)), les principes contractuels communs AHC-SLC (art. 0:301 al. 2) et, en son temps, l’une des versions du Projet de réforme Terré, qui comportait un article 5 disposant que « les parties ne peuvent exclure ni limiter ce devoir ».

D’autre part, l’article 1112 (nouveau) du code civil retient successivement en ses deux premiers alinéas que « L’initiative, le déroulement et la rupture des négociations précontractuelles sont libres » et qu’« ils doivent impérativement satisfaire aux exigences de la bonne foi ». Ce faisant, la jurisprudence dégagée en matière de pourparlers se trouve consacrée : liberté d’initiative, de déroulement et de rupture des négociations sous réserve du respect du principe de bonne foi. La même remarque vaut pour les dispositions relatives à l’offre et à l’acceptation (art. 1113 à 1123 nouveaux).

Quelle est la portée de ces innovations ? Deux remarques s’imposent.

En premier lieu, sur la forme : la portée de ces innovations peut paraître relative dans la mesure où l’ordonnance ne fait que figer dans la loi les principes que la jurisprudence appliquait jusqu’alors, au point d’irradier la phase précontractuelle par la notion de bonne foi, tant dans la négociation et la formation du contrat que dans la rupture des pourparlers. Le droit de la distribution et le droit de la franchise n’avaient évidemment pas échappé à ce mouvement général. Ainsi, par exemple, dans le droit de la distribution, la construction jurisprudentielle issue des arrêts Huard (Cass. com., 3 nov. 1992, Bull. civ. IV, n 338 ; JCP G 1993, II, 22164, note G.-J. Virassamy ; RTD civ., 1993, p. 124, n 7, obs. J. Mestre ; Juris-Data n 002431) et Chevassus-Marche (Cass. com., 24 nov. 1998, RTD civ., 1999, p. 98, obs. J. Mestre ; Defrénois, 1999, p. 371, obs. D. Mazeaud ; JCP 1999, I, 143, obs. Ch. Jamin ; Juris-Data n 004489) et les décisions rendues dans les affaires General Motors (Com. 29 janvier 2008, F-P+B, pourvoi n 06-17.748) et Nouvelles Frontières (Trib. com. Bobigny, 29 janv. 2008, RG n 2007/F00373) ont montré toute la vigueur de cette notion. De même, par exemple, dans le droit de la franchise, la chambre commerciale de la Cour de cassation a reconnu l’existence d’une telle obligation dans la phase précontractuelle depuis un arrêt du 20 mars 1972 (Cass. com., 20 mars 1972, Bull. civ. IV, n 93 ; RTD civ., 1972, p. 779, note G. Durry). Cette solution a plusieurs fois été confirmée par la Haute juridiction (Cass. com., 8 nov. 2005, Juris-Data n 030701) et les juridictions du fond (CA Aix-en-Provence, 14 janvier 1997, Juris-Data n 040104), tout en étant approuvée par les auteurs (J. Ghestin, La responsabilité délictuelle pour rupture abusive des pourparlers, JCP G, 2007, I, 155 ; D. Mazeaud, La genèse des contrats : un régime de liberté surveillée, Dr. et patrimoine, juill.-août 1996, pp. 44 s., n 13 ; M.-J. Grollemund-Loustalot-Forest, L’obligation d’information entre contractants dans les contrats de distribution, RJ. com. 1993, pp. 58 suiv., n° 3 ; F.-L. Simon, Les manquements du franchisé à son obligation de bonne foi, LDR mai-juin 2009). L’exigence de bonne foi est donc requise au titre de l’ensemble de la phase précontractuelle, au travers du célèbre triptyque : négociation du contrat, formation du contrat, et rupture des pourparlers. Cette innovation textuelle conduit à un véritable renforcement de la bonne foi.

En second lieu, sur le fond : en étant consacrées par des textes, ces solutions ne résulteront plus de décisions de la Cour de cassation, par définition susceptibles d’interprétation voire d’une remise en cause de leur portée ou de leur principe. Figées dans un texte, ces solutions sont désormais stabilisées.

Obligation générale d’information : Est introduite à l’article 1112-1 (nouveau) du code civil l’existence d’un devoir général d’information, d’ordre public. Selon l’alinéa 1er de ce texte, « Celle des parties qui connaît une information dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre doit l’en informer dès lors que, légitimement, cette dernière ignore cette information ou fait confiance à son cocontractant ». Quant à l’information concernée, qui est celle qui a une « importance déterminante », est davantage définie. L’alinéa 5ème de ce texte précise : « Les parties ne peuvent ni limiter, ni exclure ce devoir ». Le dernier alinéa précise que le manquement à ce devoir est sanctionné par l’engagement de la responsabilité de celui qui en était tenu, et qu’il peut également entraîner la nullité du contrat s’il a provoqué un vice du consentement – erreur ou dol : « Outre la responsabilité de celui qui en était tenu, le manquement à ce devoir d’information peut entraîner l’annulation du contrat dans les conditions prévues aux articles 1130 et suivants ». Ainsi, les rédacteurs du texte ont considéré opportun d’intégrer dans le code civil, de manière autonome et indépendamment du devoir de bonne foi, une telle obligation précontractuelle d’information, essentielle à l’équilibre des relations contractuelles, qui était au demeurant déjà admise en jurisprudence.

Quelle est la portée de cette innovation ? Trois remarques s’imposent.

En premier lieu, sur la forme : l’innovation consiste tout d’abord à intégrer au code civil les solutions jusqu’alors dégagées par la jurisprudence. Mais l’incidence de la réforme nous semble aller bien au-delà.

En deuxième lieu, sur le fond : si les distributeurs disposent déjà, à travers les dispositions des articles L. 330-3 et R. 330-1 du code de commerce, d’un texte spécial en vertu duquel une obligation générale d’information pèse sur les têtes de réseau, s’y ajoute désormais ce texte général ; ces deux textes (général et spécial) ont vocation à se superposer, ce qui n’est pas sans incidence pratique. Les distributeurs pourraient ainsi se prévaloir d’une violation par la tête de réseau du texte spécial et/ou du nouveau texte général, ce d’autant que le texte général est d’application plus large que le texte spécial ; le texte général ne vise pas seulement les informations limitativement énoncées à l’article R. 330-1 du code de commerce mais, plus largement, toute information « dont l’importance est déterminante pour le consentement de l’autre » et ayant « un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties » (C. civ., art. 1112-1, al. 1er et 3ème (nouveau)). De plus, en visant par l’introduction de l’adverbe « légitimement » à l’alinéa 1er de l’article 1112-1 reproduit plus haut, l’ordonnance consacre-t-elle d’une certaine manière le devoir de se renseigner qui pèse sur les distributeurs. Dans une précédente version, l’ordonnance prévoyait une obligation de donner à l’autre partie l’information que l’autre partie « connaît ou devrait connaître », ce qui revient finalement au même. La jurisprudence relative au devoir de se renseigner des distributeurs en général et des franchisés en particulier (F.-L. Simon, Le devoir du franchisé de « se » renseigner (Etude d’ensemble), LDR 29 mai 2015) se trouve donc entérinée et même renforcée.

En troisième lieu, toujours sur le fond : situation inédite, toute tête de réseau disposent désormais d’un texte de nature à justifier une action en responsabilité ou en nullité du contrat lorsque le distributeur ne lui a pas transmis une information « dont l’importance est déterminante pour » la tête de réseau et ayant « un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties » (C. civ., art. 1112-1, al. 1er et 3ème (nouveau)). Ce dispositif nouveau ne fera pas disparaître la nécessité pour la tête de réseau d’avoir recours aux clauses de déclarations préalables dont on a déjà souligné l’importance, notamment dans les réseaux de franchise (F.-L. Simon, La clause de « déclarations préalables » dans les contrats de franchise (Réflexion d’ensemble), LDR Mars-Avril 2015). Il se pourrait toutefois que la jurisprudence rendue sous l’empire du nouvel article 1112-1 soit toutefois plus protectrice pour les têtes de réseau. Jusqu’à présent, le franchiseur butait parfois (pour ne pas dire trop souvent) sur une question de preuve, en ne parvenant pas à prouver que l’information dont il avait été privé était véritablement déterminante de sa volonté de conclure le contrat de franchise. Et l’on sait bien qu’à cet égard les juridictions du fond peuvent considérer que telle ou telle information communiquée par le franchisé au franchiseur durant la phase précontractuelle n’entre pas nécessairement dans le champ contractuel, en particulier lorsque la teneur de cette information ne figure pas dans le contrat de franchise ou l’une de ses annexes (Trib. Com., Quimper, 20 février 2009, inédit). L’alinéa 3ème de l’article 1112-1 prend ici tout son sens ; il sera désormais possible à la tête de réseau (y compris celle qui n’aurait pas prévu de clause de déclarations préalables) d’engager utilement une action en responsabilité ou en nullité du contrat à l’encontre du distributeur qui n’aurait pas communiqué une information ayant « un lien direct et nécessaire avec le contenu du contrat ou la qualité des parties ».

 

II. L’exécution du contrat

Généralités : La réforme introduit plusieurs mécanismes touchant à l’exécution du contrat.

Trois dispositions attirent plus particulièrement l’attention des praticiens du droit de la distribution et du droit de la franchise : l’imprévision, la fixation unilatérale du prix, la réduction de prix.

Imprévision : L’article 1195 (nouveau) du code civil constitue l’une des innovations importantes de l’ordonnance, puisqu’il introduit l’imprévision dans le droit des contrats français, que la jurisprudence de la Cour de cassation s’était toujours attachée à écarter. Depuis le très célèbre arrêt dit du « Canal de Craponne », rendu le 6 mars 1876, la Cour de cassation a toujours refusé qu’un juge puisse, à la demande d’une partie, corriger le déséquilibre provoqué par les circonstances, pour faire prévaloir l’intangibilité du contrat et la sécurité que celle-ci procure. Or, désormais, selon l’article 1195 (nouveau) du code civil : « Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation (alinéa 1er). En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe (alinéa 2ème) ».

Ce texte conduit à deux séries de remarques. Tout d’abord, l’alinéa 1er pose les conditions de ce dispositif : l’imprévision est subordonnée à un changement de circonstances « imprévisible », devant rendre l’exécution « excessivement onéreuse » pour une partie ; et celle-ci ne doit pas avoir accepté de prendre en charge ce risque. Ce texte présente un caractère supplétif, de sorte que les parties pourront convenir à l’avance de l’écarter pour choisir de supporter les conséquences de la survenance de telles circonstances qui viendraient bouleverser l’économie du contrat. Dans ce contexte nouveau, il est vivement recommandé aux têtes de réseau d’écarter l’application de ce texte dans le contrat de distribution afin d’éviter toute demande intempestive de révision du contrat (par exemple du pourcentage de la redevance) que les distributeurs pourraient être tentés de formuler. De manière rassurante, pour éviter que ce mécanisme n’encourage les contestations dilatoires ou fallacieuses, il est précisé que si la partie lésée demande une renégociation à son cocontractant, elle doit continuer à exécuter ses obligations. Ensuite, l’alinéa 2 du texte précise les conséquences d’un refus ou d’un échec des négociations : les parties, si elles en sont d’accord, peuvent convenir de la résolution du contrat ou saisir le juge pour que celui-ci adapte le contrat. A l’issue d’un délai raisonnable, l’une des parties peut également saisir seule le juge, qui pourra alors réviser le contrat voire y mettre fin. L’imprévision a donc vocation à jouer un rôle préventif, le risque d’anéantissement ou de révision du contrat par le juge devant inciter les parties à négocier.

Fixation unilatérale du prix : Pour tenir compte de l’évolution de la pratique et de la jurisprudence développée depuis quatre arrêts d’assemblée plénière du 1er décembre 1995 sur la fixation unilatérale du prix, le nouvel article 1164 du code civil précise : « Dans les contrats cadre, il peut être convenu que le prix sera fixé unilatéralement par l’une des parties, à charge pour elle d’en motiver le montant en cas de contestation (al. 1er). En cas d’abus dans la fixation du prix, le juge peut être saisi d’une demande tendant à obtenir des dommages et intérêts et le cas échéant la résolution du contrat (al.2nd) ». Le rapport au Président de la République souligne que, compte tenu du danger qu’il y aurait à autoriser une fixation unilatérale du prix dans tous les contrats, le champ de ce texte a été limité aux contrats cadre (contrats de longue durée qui fixent un cadre général aux relations entre les parties), dans lesquels ce mécanisme est particulièrement important, et qu’il est néanmoins prévu la possibilité pour le cocontractant de saisir le juge pour obtenir, en cas d’abus, des dommages et intérêts et/ou la résolution du contrat (article 1164), ce qui correspond à la jurisprudence actuelle. De même, consacrant également une jurisprudence de la Cour de cassation, le nouvel article 1165 du code civil adopte un mécanisme voisin en matière de contrats de prestation de service.

La réduction de prix : L’article 1223 offre la possibilité au créancier d’une obligation imparfaitement exécutée d’accepter cette réduction sans devoir saisir le juge en diminution du prix. Le créancier devra préalablement avoir mis en demeure le débiteur d’exécuter parfaitement son obligation. Le texte n’est pas destiné à remettre en question l’exception admise en jurisprudence en cas d’urgence. Le créancier devra ensuite notifier à son débiteur, dans les meilleurs délais, sa décision de réduire le prix, s’il n’a pas encore payé. S’il a déjà payé le prix, il demandera remboursement au débiteur à hauteur de la réduction de prix opposée. Le texte prend soin de préciser que la réduction du prix sollicitée par le créancier de l’obligation imparfaitement exécutée doit être proportionnelle à la gravité de cette inexécution. Il s’agit d’une sanction intermédiaire entre l’exception d’inexécution et la résolution, qui permet de procéder à une révision du contrat à hauteur de ce à quoi il a réellement été exécuté en lieu et place de ce qui était contractuellement prévu.

 

III. L’interprétation du contrat

Généralités : La réforme innove en introduisant une définition du contrat d’adhésion, dont le régime juridique touche directement à l’interprétation d’un tel contrat.

Contrat d’adhésion : Le nouvel article 1110 du code civil offre  – c’est une nouveauté – une définition légale du contrat de gré à gré et du contrat d’adhésion. L’alinéa 1er de ce texte dispose : « Le contrat de gré à gré est celui dont les stipulations sont librement négociées entre les parties ». L’alinéa 2nd dispose : « Le contrat d’adhésion est celui dont les conditions générales, soustraites à la négociation, sont déterminées à l’avance par l’une des parties ».

Il y aurait beaucoup à dire à ce sujet. Pour s’en tenir ici à l’essentiel, deux séries de remarques s’imposent.

La notion de contrat d’adhésion mérite qu’on s’y attarde. Dans une précédente version, le projet d’ordonnance en donnait une définition tout autre : « Le contrat d’adhésion est celui dont les stipulations essentielles, soustraites à la libre discussion, ont été déterminées par l’une des parties ». Cette définition avait été critiquée dans la mesure où il était objecté que la notion de « stipulations essentielles » ne pouvait constituer un critère (R. Boffa, Le Contrat d’adhésion, RDC 2015/3, p.738, spéc. 5 : « Comme l’écrivait (…) Pichon dans sa thèse consacrée au contrat d’adhésion, « l’on peut poser en principe que les clauses essentielles des contrats d’adhésion sont acceptées sciemment et librement par les deux parties ». Il est donc pour le moins contestable que le critère du contrat d’adhésion repose sur l’absence de négociation des stipulations essentielles du contrat, alors que la finalité même de cette catégorie est de protéger l’adhérent contre des stipulations accessoires, pour lesquelles il a donné un consentement aveugle ».) et qu’il était de surcroît facteur d’insécurité juridique (R. Boffa, préc., spéc. 5 : « Ce à quoi on peut ajouter qu’un tel critère – la stipulation essentielle – risquera de donner lieu à des hésitations sans fin. On connaît – et encore – l’obligation essentielle, mais qu’est-ce au fond qu’une stipulation essentielle ? Celle sans laquelle l’adhérent ne se serait pas engagé ? Mais si tel est le cas, il n’a pas pu ne pas l’accepter en pleine conscience… »). En retenant finalement le critère des « conditions générales », l’ordonnance retient une définition élargie du contrat d’adhésion ; dès lors en effet que les conditions générales du contrat auront été soustraites à la négociation, le contrat sera alors nécessairement un contrat d’adhésion, quand bien même ses conditions particulières auraient été négociées. Plusieurs objections subsistent toutefois ; en particulier, la distinction opérée entre les conditions générales et conditions particulières ne nous semble pas régler tous les problèmes ; dans un certain nombre de cas en effet, on imagine déjà les parties se disputer sur le caractère « général » ou « particulier » de telle ou telle stipulation du contrat qui aura été négociée pour le faire entrer (ou l’exclure) de la notion de contrat d’adhésion. La plupart des contrats de franchise entreront ainsi dans la catégorie des contrats d’adhésion. Il en ira ainsi également – mais dans une moindre mesure – des contrats de master franchise, la négociation étant (au moins potentiellement) plus serrée en pratique.

Ensuite, pour ce qui concerne le régime juridique associé au contrat d’adhésion, deux (nouveaux) articles issus de la réforme sont à signaler. L’article 1171 nouveau selon lequel : « Dans un contrat d’adhésion, toute clause qui crée un déséquilibre significatif entre les droits et obligations des parties au contrat est réputée non écrite ». Cette disposition est d’ordre public. Les critères d’appréciation du déséquilibre sont inspirés de ceux fixés dans le code de la consommation et résultent de la transposition de la directive 93/13/CEE du 5 avril 1993 sur les clauses abusives. L’alinéa 2 du texte précise que cette « appréciation ne peut porter ni sur l’objet principal du contrat, ni sur l’adéquation du prix à la prestation ». De plus, l’article 1190 nouveau du code civil dispose : « Dans le doute, le contrat de gré à gré s’interprète contre le créancier et en faveur du débiteur, et le contrat d’adhésion contre celui qui l’a proposé ».

En pratique, cette dernière disposition devrait conduire à une rédaction plus détaillée des contrats entrant dans le champ d’application de l’article 1110 alinéa 2nd du code civil.

A rapprocher : Ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations ; Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n° 2016-131 du 10 février 2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général et de la preuve des obligations

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