REQUALIFICATION DU CONTRAT : Application aux contrats de franchise du statut de gérant de succursales

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Cass. soc., 16 septembre 2015, n°14-17.371, Publié au Bulletin

Les notions d’« agrément du local » et de « prix imposés », au sens de l’article L.7321-2 du code du travail relatif au statut de gérant de succursales, s’apprécient largement pour la première et de manière distincte de celle issue du droit de la concurrence pour la seconde.

Ce qu’il faut retenir :

Les notions d’« agrément du local » et de « prix imposés », au sens de l’article L.7321-2 du code du travail relatif au statut de gérant de succursales, s’apprécient largement pour la première et de manière distincte de celle issue du droit de la concurrence pour la seconde.

Pour approfondir :

Au regard de la décision commentée (Cass. soc., 16 septembre 2015, n°14-17.371), publiée au Bulletin, les distributeurs indépendants (franchisés, affiliés, concessionnaires, etc.) devraient invoquer de plus en plus souvent les dispositions protectrices de l’article L.7321-2 du code du travail relatif au statut de gérant de succursales, tant il est vrai que, par cette décision, la Cour de cassation facilite les conditions d’application de ce texte, selon lequel est gérant de succursale toute personne :

 

« 1° Chargée, par le chef d’entreprise ou avec son accord, de se mettre à la disposition des clients durant le séjour de ceux-ci dans les locaux ou dépendances de l’entreprise, en vue de recevoir d’eux des dépôts de vêtements ou d’autres objets ou de leur rendre des services de toute nature ;

2° Dont la profession consiste essentiellement :

a) Soit à vendre des marchandises de toute nature qui leur sont fournies exclusivement ou presque exclusivement par une seule entreprise ;

b) Soit à recueillir les commandes ou à recevoir des marchandises à traiter, manutentionner ou transporter, pour le compte d’une seule entreprise, lorsque ces personnes exercent leur profession dans un local fourni ou agréé par cette entreprise et aux conditions et prix imposés par cette entreprise ».

 Dans cette affaire, un franchisé invoquait l’application des dispositions protectrices de l’article L.7321-2 du code du travail relatif au statut de gérant de succursales. Parmi les trois conditions d’application de ce texte, deux d’entre elles étaient en cause : la notion d’agrément du local, la notion de prix imposés. Les juges du fond (CA Bordeaux, 18 mars 2014, RG n°11/07782) avaient accueilli la demande du franchisé, de sorte que le franchiseur soutenait, devant la Cour de cassation, que ces deux conditions n’étaient pas réunies.

Sur notion d’« agrément » du local : Tout d’abord, selon le pourvoi, il était fait grief à la Cour d’appel d’avoir considéré que le franchiseur avait « agréé » le local au sens de l’article L.7321-2 du code du travail, alors que la Cour d’appel avait par ailleurs constaté que le local n’était plus aux normes et avait donc perdu les qualités requises pour l’obtention d’un tel agrément. Autrement dit, selon le franchiseur, le fait que le local ne soit plus conforme aux normes imposées au sein du réseau, constituait bien la preuve que son « agrément » n’était pas nécessaire à la poursuite de l’activité, et que la condition, tenant à l’exercice de l’activité dans un local fourni ou agréé, n’était donc pas remplie. Sur ce point, la Cour de cassation ne l’entend pas ainsi ; elle approuve les juges du fond d’avoir décidé qu’en « poursuivant la relation contractuelle puis en concluant un contrat à durée indéterminée » en dépit de la non-conformité du local aux normes qu’il recommandait », le franchiseur « avait nécessairement maintenu son agrément pour toute la période contractuelle » et que le franchiseur « ne pouvait donc utilement se prévaloir d’un défaut d’agrément du local de sa part dès lors (qu’il) avait maintenu une relation contractuelle avec [la franchisée] pour la poursuite par celle-ci de la commercialisation des produits [du franchiseur]». Ainsi, selon la Cour de cassation, le fait que le distributeur soit resté dans un lieu ne remplissant plus les critères du réseau était finalement sans importance dès lors que le franchiseur avait en quelque sorte donné son agrément en acceptant que le franchisé continue d’y exercer son activité. Il faut retenir de cette décision que la notion d’agrément au sens de l’article L.7321-2 du code du travail doit être comprise dans un sens large.

Sur notion de « prix imposé » : Ensuite, le pourvoi faisait valoir « qu’en vertu du règlement CE 2790/1999 applicable en la cause et du nouveau règlement 330/2010 (art. 4), les accords verticaux relatifs aux conditions de prix entre des partenaires qui se situent à un niveau différent au sein d’un même réseau peuvent améliorer l’efficience d’une chaîne de distribution et autoriser le fournisseur à imposer un « prix de vente maximal » ou à « recommander » un prix de vente sous certaines conditions ; que la société [franchiseur] faisait précisément valoir qu’elle se borne à fixer des prix maximaux en cas de campagne promotionnelle et, pour les autres cas, à indiquer dans le logiciel de gestion des « prix conseillés » que le distributeur est totalement libre de modifier par une simple manipulation informatique, ce que confirmait l’analyse à laquelle avait procédé le Conseil de la concurrence dans sa décision du 6 juillet 1999 ; qu’en refusant d’examiner ces pratiques particulières, propres au réseau de distribution, et en affirmant sans discernement que l’exploitante franchisée n’avait pas la liberté de fixer les prix de vente des marchandises de telle sorte que Mme X… pouvait revendiquer l’application du code du travail, la cour d’appel a privé la société [franchiseur] de la faculté d’exercer normalement son activité en pratiquant seulement des « prix maxima » ou des « prix conseillés » dans un réseau constitué par des entreprises intervenant à un niveau différent, en conformité avec le droit européen et a violé ensemble les articles 101, §3 du Traité, et les articles 4 des règlements 2790/1999 et 330/2010, les principes de primauté, d’effet direct, d’effectivité et de confiance légitime relevant du droit européen, et, par fausse application les articles L.7321-1 et L.7321-2 du code du travail ». Le pourvoi ajoutait : « que la société [franchiseur] avait fait valoir dans ses conclusions d’appel auxquelles les juges du fond se réfèrent, qu’il lui était impossible d’imposer des prix de vente à Mme X… dès lors qu’en vertu du règlement CE 2790/1999 applicable en la cause et du nouveau règlement 330/2010 (art. 4), les accords verticaux relatifs aux conditions de prix entre des partenaires qui se situent à un niveau différent au sein d’un même réseau peuvent seulement autoriser le fournisseur à imposer un « prix de vente maximal » ou à « recommander » un prix de vente sous certaines conditions ; que la société [franchiseur] faisait précisément valoir qu’elle se bornait, en application de ces règles dont l’application directe découlait du contenu des accords contractuels qui la liaient à Mme X…, à fixer des prix maximaux en cas de campagne promotionnelle et, pour les autres cas, à indiquer dans le logiciel de gestion des « prix conseillés » que le distributeur est libre de modifier par une simple manipulation informatique, ce que confirmait l’analyse à laquelle avait procédé le Conseil de la concurrence dans sa décision du 6 juillet 1999 ; qu’en s’abstenant de répondre à ce moyen de défense décisif, la cour d’appel a méconnu les exigences de l’article 455 du code de procédure civile ».

La Cour de cassation rejette l’argument en retenant, par un attendu ayant valeur de principe (d’où la publication au Bulletin) que « la circonstance que les pratiques de prix mises en œuvre par la société [franchiseur] dans ses rapports avec ses distributeurs échapperaient, en vertu de règlements communautaires d’exemption, à la prohibition des ententes entre entreprises découlant des articles 81 et 82 du traité CE est dépourvue de lien avec la prise en considération, au titre des dispositions de l’article L.7321-2, 2° du code du travail, qui permettent à des gérants de succursales de se prévaloir à l’égard de la société-mère de l’application de dispositions de ce code, de l’existence de prix imposés aux gérants de ses succursales par la société [franchiseur] sans qu’il en résulte la moindre prohibition de cette pratique qu’elle met ainsi en œuvre ». Il faut retenir de cette décision que la notion de « prix imposés » au sens de l’article L.7321-2 du code du travail doit être comprise dans un sens distincte de celle issue du droit de la concurrence.

A rapprocher : CA Bordeaux, 18 mars 2014, RG n°11/07782


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