Tour d’horizon sur la notion de groupe de contrats en droit de la distribution

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SIMON François-Luc

Avocat Associé-Gérant - Docteur en droit

Avertissement : depuis la publication de cet article, le 7 octobre 2009, la loi n°2015-990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (dite « Loi Macron ») a introduit deux nouveaux articles au code de commerce (L.341-1 et L.341-2) concernant notamment le régime juridique des contrats de distribution entrant dans le champ d’application de l’article L.341-1 du code de commerce : Veuillez cliquez ICI pour en savoir davantage sur les dispositions de ce texte

 

Nullité du contrat-cadre de distribution et contrats d’application – D’une part, les contrats de distribution sont parfois des « contrats-cadres », en application desquels plusieurs autres contrats dits « contrats d’applications » sont conclus. En principe, la nullité du contrat-cadre entraîne celle des contrats d’application.

Ainsi, la nullité du contrat de franchise entraîne celle du contrat d’approvisionnement lorsque la conclusion de celui-ci «est la conséquence de celle du contrat de franchise» et que «ce dernier n’aurait pas pu être exécuté sans le contrat d’approvisionnement»942 V. CA Caen, 4 mai 2005, Juris-Data n°282521. Cet arrêt a été cassé (Cass. com., 20 mars 2007, pourvoi n°06-11.290, Juris-Data n°038114), mais la cassation portait sur le fondement de l’annulation, non sur ses conséquences (v., pour des précisions sur le calcul du bénéfice restituable au titre des marchandises vendues au franchisé, après annulation du contrat de franchise, Cass. com., 25 avr. 2001, pourvoi n°98-22.187, inédit). Cependant, il a été jugé que les contrats de vente successifs conclus entre le franchiseur et le franchisé pendant l’exécution d’un contrat de franchise de distribution, qui ont « une réalité distincte de celle des conventions nulles pour indétermination du prix », restent valables (CA Paris, 5 juill. 1990, Juris-Data n°022881).

Nullité du contrat de distribution et ensemble contractuel – D’autre part, plus largement, la nullité du contrat de distribution peut avoir une incidence sur d’autres contrats conclus entre les mêmes parties s’ils participent d’un même ensemble contractuel indivisible. A la différence de la situation précédente, les contrats, s’ils participent à une opération globale, conservent ici a priori une autonomie juridique.

La jurisprudence tend à prendre en considération l’ensemble contractuel dans lequel s’inscrit le contrat (F. Terré, Ph. Simler, Y. Lequette, Les obligations, op. cit. n° 77, p. 90.Cass. com., 4 avr. 1995 (indivisibilité d’un contrat d’accès à un réseau télématique et un contrat de location financière), Bull. civ. IV, n° 115 et 116 ; Cass. civ. 1ère, 13 nov. 2003, D. 2004, p. 657, note I. Najjar ; Cass. civ. 1ère, 4 avr. 2006, Bull. civ. I, n° 190; D. 2006, p. 2656, note R. Boffa; ibid. Somm. 2641, note S. Amrani-Mekki ; Defrénois 2006, 1194, note J.-L. Aubert; RDC 2006, p. 700, note D. Mazeaud ; Cass. civ. 1ère, 13 juin 2006, RDC 2007, p. 256, note D. Mazeaud; D. 2007, p. 277, note J. Ghestin ; Cass. com., 13 févr. 2007,D. 2007, AJ, p. 654, note X. Delpech ; Cass. com., 5 juin 2007, D. 2007, AJ, p. 1723, note X. Delpech; RTD civ., 2007, p. 569, note B. Fages).

Ainsi, la Cour de cassation a considéré, après l’avoir longtemps refusé, qu’un contrat de prêt conclu pour réaliser une vente devenait caduc en cas de résolution du contrat de vente (Cass. civ. 1ère, 1er juill. 1997, D. 1998, somm., p. 110, note D. Mazeaud; Defrénois 1997, article 36681, p.1251, note L.Aynès). La Cour prononce ici la caducité d’un prêt conclu en vue de financer une vente, à la suite de la résolution de celle-ci, sur le fondement de leur unité de cause (Ante, Cass. com., 5 mars 1996, Cont. conc. cons.1996, comm. n° 135, note L. Leveneur; D. 1996, somm. p. 327, note R.Libchaber : « L’affectation ne modifie pas la cause du contrat de prêt (…) puisque l’affectation participe plus d’un mobile qu’elle n’agit comme cause »; D. 1997, somm. p. 343, note O. Tournafond). Cette solution a trouvé de nombreuses autres applications (v. sur l’indivisibilité d’une convention de régie publicitaire et d’un contrat de crédit-bail : Cass. com., 15 juin 1999 (2ème espèce): Cont. conc. cons.1999, comm. n° 173, note L. Leveneur; D. 2000, somm., p. 363, note D. Mazeaud; d’un contrat de location de panneaux publicitaires et d’un contrat de maintenance : Cass. civ. 1ère, 1er oct. 1996, JCP E 1997, I, n° 617, note J.-B. Seube; D. 1996, IR, p. 232; d’un contrat de panonceau et d’un contrat d’association de distributeurs : Cass. civ. 1ère, 3 déc. 1996, Cont. conc. cons.1997, comm. n° 42, note L.Leveneur ; JCP E 1997, II, n° 961, note Ph. Reigne). La Cour se fonde alors sur l’indivisibilité juridique qui lie les deux opérations, par une analyse extensive de la notion d’indivisibilité des obligations consacrée par le code civil aux articles 1217 et suivants qu’elle transpose à l’indivisibilité des contrats.

D’origine jurisprudentielle, la notion d’indivisibilité des contrats connaît un certain succès, mais elle parfois est mal circonscrite (B. Teyssié, Les groupes de contrats, Préface J.-M. Mousseron, LGDJ, 1975, n° 20, p. 10; J.-B. Seube, L’indivisibilité et les actes juridiques, Préface M. Cabrillac, Litec, 1999.; J. Moury, De l’indivisibilité entre les obligations et entre les contrats, RTD civ., 1994, p. 255; J. Boulanger, Usage et abus de la notion d’indivisibilité des actes juridiques, RTD civ., 1950, p. 1; S.Amrani-Mekki, Indivisibilité et ensembles contractuels : l’anéantissement en cascade des contrats, Defrénois 2002, article 37505, p. 355; J.-M. Marmayou, Remarques sur la notion d’indivisibilité des contrats, RJ com. 1999, p. 292; C. Aubert de Vincelles, Réflexions sur les ensembles contractuels: un droit en devenir, RDC 2007, p. 983). En pratique, la Cour adopte une perspective essentiellement téléologique pour caractériser l’existence d’une interdépendance juridique et utilise à cette fin des instruments juridiques divers.

Pour la détermination d’un ensemble contractuel, les juges font prévaloir tantôt une conception objective, tantôt une conception subjective. Ils se fondent ainsi sur l’unité de cause qui lie les deux opérations, le but commun auquel elles sont destinées (Cass. com., 4 avr. 1995, Bull. civ. IV, n°115; Cass. com., 15 févr. 2000, pourvoi n°97-19.793, Bull. civ. IV, n°29). La Cour constate l’interdépendance des opérations malgré l’existence d’une clause expresse de divisibilité, sur le fondement que «le texte de la clause invoquée est en contradiction avec l’économie générale du contrat» ; ils prennent alors en compte la cause subjective de l’opération, l’économie générale de l’opération (D. Mazeaud, La cause, in Le Code civil, un passé, un présent, un avenir, Dalloz, 2004, p.451, spéc. p.461 ; Ph. Reigne, La notion de cause efficiente du contrat en droit privé français, Thèse dact., Paris II, 1993, n° 250, p. 276 et s.; La résolution pour inexécution au sein des groupes de contrats, in La cessation des relations contractuelles d’affaires, Colloque de l’Institut de droit des affaires d’Aix en Provence, 30-31 mai 1996, p. 151, spéc. n° 34 et 35, p. 173. L’auteur critique la théorie de la cause de l’obligation, « vestige de la conception individualiste du contrat» – v. contra : S. Amrani-Mekki, Indivisibilité et ensembles contractuels : l’anéantissement en cascade des contrats, Defrénois, 2002, n° 16 et s., p. 366 et suiv.), défendue par les tenants d’une conception renouvelée de la cause, indépendante de la conception objective à laquelle elle est traditionnellement soumise, selon laquelle elle se définit comme la contrepartie objective de la prestation du cocontractant.

Ce faisant, elle se comprend comme la cause de l’opération entendue globalement, en considération des mobiles des parties, dès lors qu’ils sont entrés dans le champ contractuel et que tous les cocontractants en ont connaissance (Cass. civ. 1ère, 3 mars 1993, Bull. civ. n°28; JCP 1994, I, 3744, n° 1, note M. Fabre-Magnan ; Defrénois 1993, article 35602, n°15-16, p. 927, note Y. Daggorne-Labbé ; Cass. civ. 1ère, 3 juill. 1996, D. 1997, chron., p. 500, Ph. Reigne ; Defrénois 1996, article36381, n°102, p. 1015, note P. Delebecque ; RTD civ., 1996, p. 901, note J. Mestre – .Adde, J. Moury, Une embarrassante notion: l’économie du contrat, D. 2000, chron., p. 382; A. Zelcevic-Duhamel, La notion d’économie du contrat en droit privé, JCP 2001, I, 300, p. 423). A cette fin, les juges prennent appui sur des indices objectifs pour caractériser le lien entre les contrats, comme leur durée ou leur date de conclusion (Cass. com., 4 avr. 1995, Bull. civ. IV, n° 115 et 116 ; Cass. civ. 1ère, 4 avr. 2006, Bull. civ. I, n° 190, la Cour jugeant que « les deux contrats conclus de durées différentes pour des raisons propres à la qualité et à la puissance économique et juridique du partenaire, concouraient sans alternative à la même opération économique» et justifiant donc l’indivisibilité malgré la différence de durée des deux contrats liés). Ce critère est complété par un critère subjectif d’identification de l’indivisibilité : si certains auteurs considèrent que l’indivisibilité doit avoir été expressément prévue (L. Aynès, note citée sous Cass. civ. 1ère, 1er juill. 1997, p. 1254), d’autres au contraire en font un fondement juridique autonome (J. Ghestin, Cause de l’engagement et validité du contrat, LGDJ, 2006, n° 954 et s., p. 610 et s., spéc. n° 957 ; S. Amrani-Mekki, Indivisibilité et ensembles contractuels: l’anéantissement en cascade des contrats, Defrénois, 2002, pp. 370 et suiv.). . Cette forme d’indivisibilité peut résulter de la volonté expresse des parties et découler, par exemple, de l’insertion d’une condition résolutoire par laquelle les cocontractants constatent un lien exprès entre les deux contrats (L. Aynès, note citée sous Cass. civ. 1ère, 1er juill. 1997, p. 1254; J.-M. Marmayou, Remarques sur la notion d’indivisibilité des contrats, RJ com. 1999, p. 292, p. 301: « L’indivisibilité est en elle-même l’objet d’un contrat », « un accord cadre de liaison »). Elle peut aussi être tacite et se déduire de la preuve de la connaissance par les parties de l’interdépendance des opérations, qui se manifeste par l’application d’un faisceau d’indices (M. Bacache, Indivisibilité, Rep. civ. Dalloz, mai 2001, n° 148, p. 21; J.-M. Marmayou, Remarques sur la notion d’indivisibilité des contrats, RJ com. 1999, p. 297 et s.).

Les deux conceptions sont en réalité combinées par les juges. Dans tous les cas, l’effet est le suivant: si l’indivisibilité du contrat de distribution et d’un autre contrat conclu entre les mêmes parties est caractérisée, le juge va pouvoir rendre la nullité du contrat de distribution opposable aux parties et en déduire la nullité du contrat lié, né du même ensemble indivisible.

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